La baisse d'activité du marché est d'abord celle du marché de la revente
Alors qu'elles assurent habituellement plus des deux tiers des transactions immobilières, les achats financés au moins en partie par une revente d'un autre bien ne représentaient plus au 1er semestre 2009 qu'une moitié des transactions (neuf et ancien confondus) : c'est une des révélations de la présentation le 21 juillet des résultats trimestriels de l'Observatoire du financement des marchés résidentiels (Crédit Logement/CSA) ! Un quasi-blocage du marché de la revente explique ce phénomène, et entraîne à lui-seul les trois quarts de la chute de 20 à 50% selon les marchés du nombre de transactions enregistrée depuis le 4ème trimestre 2008, avec un creux particulièrement marqué au 1er trimestre 2009 (volume de crédits distribués tombé de 50% au 1er trimestre 2009 par rapport à celui du même trimestre 2007, alors que cette chute n'était plus que de 33% au 2ème trimestre).
Bien que spectaculaire, ce blocage n'est pas simple à analyser ; intervenu fortement à partir de l'automne 2008, le ralentissement avait montré ses prémisses dès début 2007 comme le révélaient les statistiques des agents immobiliers FNAIM de Paris-Ile-de-France passées quelque peu inaperçues à l'époque ! De même, le réseau Century 21 avait mis dès cette époque en évidence une quasi-disparition des "transactions de confort", en d'autres termes les achats effectués pour une amélioration du cadre de vie indépendamment de besoins liés à un évènement familial ou une mutation professionnelle. Simplement, la hausse continue des prix avait masqué le phénomène alors qu'encore les chiffres concernant les volumes de transactions n'étaient pas connus avec autant de précision qu'aujourd'hui...
Il est certain aussi que le coup d'arrêt le plus brutal du marché de la revente a été provoqué par le "credit crunch" de l'automne 2008, quand les banques, ébranlées dans leur solvabilité par la crise des "subprime" et à court de refinancement du fait du blocage des marchés financiers, ont restreint brusquement leur activité de prêt et notamment de prêts immobiliers. Ce coup de frein intervenait alors que la solvabilité des acquéreurs commençait à être entamée, malgré des mesures comme l'extension du prêt à taux zéro (PTZ) à l'ancien ou le crédit d'impôt au titre des intérêts d'emprunt pour la résidence principale, en raison du niveau atteint par les prix mais aussi de la hausse continue des taux d'intérêt depuis 2005 !
Plus délicate est l'explication de l'absence notable de redémarrage de ce marché, alors que les taux d'intérêt ont connu la chute la plus rapide de ces décennies, et que les banques ont desserré au moins partiellement l'étau du crédit - d'autant plus volontiers qu'elles se sont visiblement refait une santé et qu'elles voient de surcroît avec la baisse du coût de leurs ressources la rentabilité des prêts s'envoler ! La réticence à l'égard des prêts relais est une première explication : elle vient autant des banques que des emprunteurs, après tout ce qui été dit des vendeurs pris au piège entre un achat signé et une vente qui ne se fait pas aux conditions prévues par le plan de financement...
L'amorce de baisse des prix provoquée par le ralentissement du marché en est une autre : les vendeurs résistent naturellement à l'idée de vendre moins cher qu'ils n'ont acheté, ou du moins en réalisant une plus-value inférieure à celle espérée ; cette cause rejoint d'ailleurs la précédente : faute d'envisager de recourir à un prêt relais, on hésite à vendre moins cher sans être sûr de retrouver à l'achat la baisse de prix consentie à la vente !
Mais il faut peut-être aussi chercher une cause plus profonde, sur laquelle la crise actuelle aurait joué une fonction d'amplificateur : la paupérisation croissante des classes moyennes que révèle l'évolution des clientèles des marchés immobiliers depuis près d'une décennie.
Un déplacement des clientèles engagé depuis une décennie
Analysant les destinataires et l'objet des prêts accordés par les banques et les établissement de crédit, l'Observatoire Crédit Logement/CSA (2) met en évidence un certain nombre de tendances que la crise ne semble aucunement avoir affectées :
- un rajeunissement des acquéreurs, spectaculaire dans le neuf (un cinquième du marché de l'accession) - la part des moins de 35 ans progresse de 10 points de 2001 à 2009 passant de 43 à 53%, toutes les autres tranches d'âge régressant de manière régulière et continue -, mais nette aussi dans l'ancien (quatre cinquièmes du marché) : les moins de 35 ans deviennent également majoritaires, passant de 47 à 52%, mais les 35-45 ans, qui avaient perdu du terrain résistent à 29%, les autres tranches d'âge régressant également...
- les catégories de cadres et profession libérales cèdent le pas aux catégories d'ouvriers et employés : drastiquement dans le neuf où elles passent de 59 à 41%, les ouvriers et employés devenant majoritaires passant de 31 à 52%, spectaculairement aussi dans l'ancien où elles perdent 10 points de marché de 59 à 49%, les ouvriers et employés passant de 33 à 45% !
- les ménages dont les revenus sont inférieurs à 3 SMIC, considérés comme relevant de l'accession sociale, voient leur part progresser uniformément et régulièrement, passant de 27 à 45% dans le neuf et de 35 à 41% dans l'ancien, les moins de 5 SMIC passant globalement de 52 à 72% dans le neuf et de 57 à 65% dans l'ancien, au détriment des autres tranches de revenus qui s'effondrent littéralement !
L'amélioration du PTZ et son extension à l'ancien ne doivent pas y être étrangères, de même que l'effet du crédit d'impôt au titre des intérêts d'emprunt pour la résidence principale, plus sensible pour les bas revenus. Mais les pressions sur le niveau de vie des classes moyennes y ont nécessairement leur part !
La solvabilité des classes moyennes sérieusement entamée
Certes, à regarder les chiffres bruts, les choses ne semblent pas si graves : l'augmentation régulière des revenus supérieure à l'inflation, l'effet d'une baisse des taux d'intérêt, et qui améliore de près de 10% le pouvoir d'achat des emprunteurs, le crédit d'impôt au titre des intérêts d'emprunt et l'accès au PTZ et aux prêts PAS ouvert à au moins une partie des classes moyennes, avec en plus le doublement du premier pour l'achat dans le neuf, ont notamment depuis 2006, fait baisser à 3,63 années de revenus le coût moyen des opérations réalisées, et amélioré l'indicateur de solvabilité des acquéreurs établi trimestre par trimestre par l'Observatoire Crédit logement/CSA.
La crise a légèrement dégradé ces indicateurs en 2009, notamment pour les acquéreurs dans l'ancien, mais c'est entre autres en raison d'une baisse de la durée moyenne des prêts - les banques prêtent certes un peu plus facilement mais pour des durées moins longues - et aussi... d'une remontée des prix de vente enregistrée par l'indice de l'Observatoire au deuxième trimestre (transactions signées au 2ème, conclues au 1er trimestre et donc en plein effondrement des ventes), et qui devrait être confirmée par l'indice des notaires cet automne !
Ces données rassurantes cachent cependant une réalité plus inquiétante : un sentiment croissant de précarité et de déclassement social qui gagne du terrain dans les classes moyennes comme l'attestent les enquêtes mensuelles de l'INSEE sur le "moral des ménages, ou comme le montre une étude du Centre d'analyse stratégique de juillet 2009 (3). La crise économique, les suppressions effectives d'emploi et les craintes qu'elles font naître chez une grande partie des salariés du secteur privé, le pessimisme ambiant sur les chances de sortir rapidement de la récession ne seraient que des facteurs aggravants d'un marasme qui gagne des catégories sociales autrefois aisées, et qui serait le résultat combiné de la pression de la mondialisation sur les rémunérations, et l'alourdissement des "dépenses contraintes" imposées par la situation sociale et économique du pays.
Une étude du CREDOC (1) montrait en mai 2009 que la part des dépenses de logement, eau, gaz, électricité, téléphone, assurance), avec les dépenses "incontournables" (alimentation, transports, santé, éducation) atteignait 80% des budgets "médians" (classes moyennes, 1.467 euros de ressources par personne) ; ce taux baisse progressivement au fur et à mesure que les revenus augmentent mais il est encore de 65% dans le budget des budgets des 10% des classes les plus aisées.
Surtout, ce poids s'est alourdi très fortement depuis 30 ans : les dépenses de logement, eau, gaz, électricité, téléphone et assurance par exemple sont ainsi passées de 21 à 38% dans le budget des ménages des classes moyennes inférieures, de 20 à 32% dans celui des classes moyennes supérieures, et de 19 à 29% dans celui des classes "aisées" !
Du coup, la part des ménages qui disent s'imposer des restrictions dans leurs dépenses est passée de 64 à 72% dans les classes moyennes inférieures, de 56 à 59 dans les classes moyennes supérieures ; il n'y a que dans les classes aisées qu'elle n'a pas progressé et a même un peu reculé, mais elle se situe tout de même à 44% !
Chez les classes moyennes, beaucoup de ces dépenses (logement et transports occasionnés par ce dernier, éducation, mais une part aussi des dépenses culturelles ou de loisirs sont aussi contraintes par des schémas de consommation qu'elles s'imposent pour se différencier, ou maintenir un statut. Le logement, moyen de ségrégation par excellence puisqu'il permet à la fois d'afficher un standing social par le cadre de vie et assurer un niveau d'éducation protégé pour ses enfants - les meilleurs établissements scolaires se concentrant comme par hasard dans les meilleurs secteurs - est, en tant que tel avec ses dépenses induites, principal poste d'investissement et de consommation dans le budget des classes moyennes ; il est aussi le boulet qui les "plombe" de plus en plus, en grande partie par leur faute : n'est-ce pas elles qui par leur engouement pour les beaux quartiers ont fait monter les prix jusqu'à ne plus pouvoir, tirant de surcroît par effet induit tout le marché immobilier vers le haut, les catégories chassées des secteurs les plus chers faisant de proche en proche monter les prix des quartiers de toute la périphérie ?
Il ne faut dès lors pas forcément s'étonner dans le climat d'incertitude actuel de les voir les premières à "jeter l'éponge" et verser dans l'attentisme, cause probablement essentielle du blocage constaté du marché de la revente ! L'amélioration sur ce plan ne pourrait venir que d'une forte et décisive baisse des prix, mais de fortes résistances l'empêchent pour le moment. Dès lors, il faut peut-être s'attendre à voir se prolonger, sur fond de baisse très modérée et peut-être simplement apparente des prix (4), une situation de stagnation du marché où ne se font que les opérations indispensables, celles qui peuvent être évitées étant reportées à plus tard...
(1) CREDOC - n°219 - mars 2009 : "Les classes moyennes sous pression"
(2) L'Observatoire du Financement des Marchés Résidentiels est né de la synergie entre le Professeur Michel Mouillart, de l'Université Paris X Nanterre, l'Institut CSA et Crédit Logement ; il analyse mensuellement et trimestriellement les opérations de financement réalisées avec le concours de Crédit logement, soit environ 20% des opérations immobilières avec crédit en France et 30% des opérations dans l'ancien - v. le Diaporama de présentation des données du 2ème trimestre 2009
(3) Centre d’analyse stratégique - juillet 2009 : "La mesure du déclassement : Informer et agir sur les nouvelles réalités sociales"
(4) v. Universimmo.com, 27 juillet 2009 : "Immobilier ancien : les prix baissent-ils vraiment ?"
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UniversImmo.com
Commentaire posté par
olivier
, le
27/7/2009 à 17h28 La diminution de la part des CSP+ dans l'acquisition de logements neufs est recente (2007)
Cette diminution traduit une meilleure information sur la pertinence de l'achat ou l'investissement immobilier en fin de cycle haussier.
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Commentaire posté par
boprov
, le
27/7/2009 à 13h35 Vous dites "un rajeunissement des acquéreurs, spectaculaire dans le neuf (un cinquième du marché de l'accession) - la part des moins de 35 ans progresse de 10 points de 2001 à 2009 passant de 43 à 53%"
Cela rejoint un autre article lu par ailleurs. Explication donnée alors: la bulle a incité à acheter plus tôt dans la vie qu'avant. Conséquence: ceux qui ont déjà acheté ne sont plus acheteurs. Une des causes de la chute des ventes, non ?
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