A l'origine un projet de loi perçu comme vexatoire
Préparé discrètement à un moment où l'affaire "Urbania", pas encore rendue publique, risquait de provoquer une déflagration majeure dans le secteur de la gestion immobilière, un avant-projet de loi que le gouvernement s'apprête à transmettre au Conseil d'Etat a mis les professions immobilières en ébullition ! Limité dans sa première version de juillet 2010 aux seuls syndics de copropriété, qu'il entreprenait de règlementer et d'encadrer séparément des autres professions d'agent immobilier et d'administrateur de biens, il a été refondu et étendu à l'ensemble des "activités d’entremise et de gestion immobilières" (1). Il crée un "Conseil de l'entremise et de la gestion immobilières", "établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale", qui tiendra un annuaire de tous les titulaires de carte professionnelle et qui percevra cotisation ; son rôle sera de définir les règles constituant le code de déontologie que devront respecter les professionnels, ainsi que de définir le contenu de la formation continue des titulaires de carte et d'organiser leur contrôle ; les sanctions disciplinaires seront prises par des "commissions régionales de contrôle".
Estimant que le projet met, de manière vexatoire, leurs professions sous la coupe de l'administration et de la magistrature (les commissions régionales sont dans le projet composées d'un magistrat, d'un représentant du préfet, d'un professeur des universités ou un maître de conférences en droit, et de "deux personnalités qualifiées représentant les mandants et les mandataires", et elles doivent fonctionner de surcroît sous l'oeil du parquet...), et qu'il a été préparé sans aucune concertation réelle, les trois principales fédérations professionnelles, la FNAIM (Fédération nationale de l'immobilier), l'UNIS (Union des syndicats de l'immobilier) et le SNPI (Syndicat national des professions immobilières) ont pratiqué dans un premier temps la politique de la "chaise vide" et essayé de faire retirer le projet de loi. Puis les deux premières (le SNPI s'est retiré pour cause de trop grand poids des grands groupes dans l'intersyndicale) ont décidé d'organiser une série d'auditions et de rencontres, baptisées "Etats Généraux des professions immobilières", dont l'objectif est, "dans un esprit constructif d'ouverture", de proposer un "nouveau cadre équilibré tendant à réformer l'exercice de leurs professions régies par une loi du 2 janvier 1970 qui n'a guère évolué depuis".
L'objectif est naturellement de peser sur les pouvoirs publics, puis sur le parlement, pour amender le projet de loi en préparation ; après une étape de préparation, les Etats Généraux sont entrés dans leur première phase opérationnelle : une phase dite "d'écoute", au cours de laquelle les principaux acteurs du secteur - professionnels, associations de copropriétaires et de propriétaires, sachants divers - vont être auditionnés sur la base d'un "document d'orientation", qui est aussi un questionnaire sur un certain nombre d'assertions et de propositions, appelant des réponses du type "d'accord - pas d'accord", commentaires à l'appui.
Un document d'orientation qui pose de bonnes questions
Première bonne surprise : loin d'engager une défense pied à pied du statu quo, le document d'orientation soumis aux acteurs consultés pendant la "phase d'écoute" fait d'emblée un constat sans concession : "malgré une législation parmi les plus drastiques, les garanties apportées par la loi Hoguet n’apparaissent plus en mesure de maintenir une relation de confiance avec la clientèle. Celle-ci est de plus en plus exigeante et, depuis une vingtaine d’années, on est passé en France, pour l’immobilier, de la notion de commerce à celle de service", peut-notamment y lire en introduction. Et de fixer aux Etats généraux l'objectif de "parvenir à un standard de qualité de service pour restaurer la confiance, servir la transparence, promouvoir auprès des consommateurs la compétence et le professionnalisme et expliquer le coût des services."
Suivent quelques bonnes questions : notamment sur la compétence professionnelle des dirigeants de cabinets et de leurs collaborateurs d'abord, puis sur la déontologie et la discipline des professionnels.
Sur le premier point, les auteurs rappellent qu'une qualification professionnelle n’est actuellement requise qu’au stade de la délivrance de la carte professionnelle. Elle ne concerne que les dirigeants et les responsables de succursales, pas leurs collaborateurs. Par ailleurs, une fois la carte professionnelle délivrée, il ne pèse sur leurs titulaires aucune obligation de formation professionnelle continue. Concernant les salariés des entreprises, l’obligation légale de formation continue existe au travers du "DIF" (Droit individuel à la formation), dont la législation actuelle n’assure pas totalement la pertinence de leur formation avec les évolutions de leur métier.
La question est d'importance car la compétence professionnelle directement liée au métier est nécessaire au plus près du client, et en premier lieu chez les collaborateurs en charge de l'exécution du mandat : le négociateur - salarié ou indépendant (agent commercial) - pour le client vendeur ou acquéreur, le gestionnaire de gérance locative pour le client d'administration de biens, le "principal" ou gestionnaire de copropriété pour les copropriétaires et les conseillers syndicaux. Peu importe à la limite que le dirigeant d'un groupe de 500 ou 1.000 salariés n'y connaisse rien à l'immobilier : ce qu'on lui demande est d'être un bon "manager", pour le reste il ne verra probablement jamais un client directement...
Par contre combien de négociateurs sur le terrain sont capables aujourd'hui d'éclairer en toute fiabilité le client sur la fiscalité, les financements d'une rénovation, les pièges et contraintes de la copropriété ? Même chose pour les gestionnaires de mandats de gestion locative, et combien de gestionnaires de copropriété sont en mesure de faire autre chose que des réponses approximatives aux conseils syndicaux ou en assemblée sur les questions liées au bâtiment et aux travaux, la méthode et les financements d'une rénovation énergétique, voire même sur le simple droit de la copropriété ? N'est-ce pas sur eux que doit peser l'obligation d'aptitude professionnelle à exercer, de formation continue et même simplement de veille juridique et technique pour avoir le "temps d'avance" qu'attend le client du professionnel ? Une certification professionnelle renouvelable ? Pourquoi pas puisqu'on l'exige de plus en plus d'autres intervenants comme les diagnostiqueurs...
La question de la déontologie et de la discipline est également abordée franchement : plus question de se retrancher derrière les chartes et codes déontologiques fixées unilatéralement par les grandes fédérations professionnelles et appliquées entre pairs de manière plus ou moins rigoureuse : "les consommateurs sont attachés au respect des principes de base de l’éthique et de la déontologie. C’est un des éléments qui fondent leur confiance et ils sont de plus en plus exigeants dans ce domaine. C’est particulièrement vrai dans l’immobilier, dont l’image dans le grand public est souvent brouillée, les professions mal comprises, parce que mal connues", indique le document d'orientation, reconnaissant que "les garanties apportées par les syndicats professionnels, aussi méritoires soient-ils, ne parviennent pas à restaurer l’image des professionnels et ce d’autant plus que l'adhésion à ces organisations reste facultative".
Ce que reprochent en fin de compte les fédérations professionnelles au projet de loi, ce n'est pas d'instaurer un cadre déontologique et un dispositif de surveillance de son application et de traitement des litiges, c'est d'y faire une place trop prépondérante à l'administration, à la magistrature et aux associations de consommateurs alors qu'ils s'estiment capables de prendre en mains la gestion de leurs professions. "Les professions sont mises sous tutelle, purement et simplement", indiquait récemment Henry Buzy-Cazaux, ancien membre de directions générales de grands groupes d'administration de biens et ancien délégué général de la FNAIM, dans un entretien (2). "Depuis cinq ans, je demande l'instauration d'un ordre, qu'on pourrait nommer " Conseil Supérieur de la gestion et de la transaction immobilières ", c'est-à-dire que les pouvoirs publics délèguent aux professionnels la responsabilité de s'organiser, sous contrôle de l'Etat".
Les fédérations admettent que "les manquements à la loi ou à la déontologie doivent être susceptibles d’être sanctionnés. A défaut, les professionnels voient leur crédibilité gravement altérée". Ils reconnaissent aussi que "les pouvoirs publics ne disposent pas de moyens nécessaires, ni pour le contrôle a priori (au stade de la délivrance des cartes professionnelles), ni pour le contrôle a posteriori (vérification de la détention des cartes, contrôle du respect de l’ensemble des obligations pesant sur les professionnels). Autre lacune : celle des garants financiers, qui "n’ont que la responsabilité de vérifier la représentation des fonds détenus par les professionnels et non le respect des autres conditions d’exercice", et qui n'ont pas tous la connaissance des pratiques professionnelles... Quant aux organisations professionnelles qui disposent de procédures disciplinaires spécifiques, elles n’ont d’autorité que vis-à-vis de leurs membres.
L'idée de structures disciplinaires fait donc son chemin, les fédérations les souhaitant au moins "paritaires", et ouvrant une large place à la médiation, à condition que celle-ci n'intervienne "qu’après épuisement des voies de recours au niveau des entreprises". des pistes sont proposées : commissions départementales paritaires de médiation, mise en place d’un médiateur national, "du type médiateur du crédit ou médiateur de l'Autorité des marchés financiers".
Un "positionnement marketing" et un modèle économique problématiques
Autre thème de débat lancé par les initiateurs des Etats Généraux : les transformations du monde de l'immobilier, devenu plus technique et plus "pointu", et l'inadéquation à la fois de la législation - une loi "Hoguet" restée figée depuis les années 70 - et des modes de fonctionnement et de rémunération d'une profession, autrefois faite de petites structures, et qui s'est concentrée - naissance de grands groupes qui dominent plus de 40% du marché - et financiarisée avec l'investissement lourd des groupes bancaires : groupes Caisse d'Epargne et Banque Populaire devenus BPCE, BNP Paribas, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, et même Crédit Immobilier de France...
Des professions également secouées par l’essor de l’Internet, le développement du recours aux collaborateurs non salariés, la nouvelle donne issue de la crise du logement et la faiblesse du pouvoir d’achat des Français, constate très justement le document d'orientation, qui souhaite "aborder, de façon différenciée pour chacun des métiers, le modèle économique des entreprises qui les exercent et les attentes des consommateurs", questionnant sur "la pertinence des modes de rémunération des métiers (par exemple le principe de l’honoraire au seul résultat pour les agents immobiliers, la distinction entre gestion courante et prestations particulières dans les contrats de syndics de copropriété etc.), le niveau général des rémunérations au regard des moyens en personnel mis à disposition des clients, quantitativement et qualitativement, la façon pour les entreprises d’apporter des réponses pertinentes aux demandes consuméristes (réglementation sur les prix et les prestations, concurrence, information et protection consommateurs etc.), les nouvelles attentes de la clientèle en matière de services (cf.par exemple, les activités connexes ou complémentaires que pourraient proposer les professionnels), et les enjeux de la maîtrise des charges ou d'entretien et de valorisation des patrimoines gérés ;
Sur ce dernier point se pose une question lancinante que reconnaît le document d'orientation puisqu'il la place à égalité dans les thèmes de débat avec celle de la transparence et de l’engagement vis-à-vis des clients : celle - nouvelle découverte en France - des conflits d'intérêt : administrateurs de biens et syndics courtiers en assurances, ou faisant intervenir des filiales bureaux d'études et de maîtrise d'oeuvre, voire même de maintenance du bâtiment ou de travaux, agences immobilières filiales de groupes bancaires proposant des crédits immobiliers de leur actionnaire, ou simplement agents immobiliers commissionnés - légalement - par des établissements de crédit. Sans caricaturer le débat, car l'argument avancé par les professionnels, en général les grands groupes, n'est pas faux : le rôle d'un professionnel est d'être en mesure de proposer des produits et prestations, et ceux qu'il maîtrise ne sont pas forcément les moins performants... Mais le soupçon est aujourd'hui aussi généralisé qu'au moins partiellement injuste, comme il gangrène une autre profession décriée, celle des gérants de patrimoine ! Il suffit qu'un professionnel propose un fournisseur ou un prestataire pour qu'on se demande ce qu'il "touche"...
Pour autant le client veut-il unanimement que l'agent immobilier, l'administrateur de biens ou le syndic de copropriété soit un "acheteur" impartial, totalement dédié à ses intérêts, se livrant à un appel d'offres pour la moindre prestation, comme le réclament implicitement les associations de consommateurs, ou qu'ils soient des chefs qui amènent leur propre orchestre de musiciens ? Dans trois domaines au moins il est exclu que le choix puisse se faire mandant par mandant, pour de simples raisons de fonctionnement : la banque pour le dépôt des fonds de la trésorerie courante des mandants, le courtier d'assurances (pour la gestion des sinistres des polices multirisques d'immeubles), les auxiliaires de justice - avocats, huissiers - pour le recouvrement des impayés locatifs ou de copropriété...
Plus généralement se pose la question du positionnement des professions par rapport à leur marché et aux besoins qui s'y expriment : est-ce normal par exemple que les agents immobiliers soient - à l'exception des "chasseurs d'appartement", pour le moment marginaux - quasi-exclusivement voués à servir les vendeurs, dans le but de leur obtenir le meilleur prix, dans un marché en surchauffe depuis des années où les biens (sauf en 2009) se vendent pratiquement tous seuls, et laissent la cohorte des acquéreurs à la peine sans assistance dans leur recherche, ou quant à la qualité des biens qu'on leur propose (vices techniques, non conformités, copropriété), et sans conseils appropriés de financement, ou de rénovation ? Est-ce normal que l'administrateur de biens ne soit qu'un simple défenseur du bailleur alors même que le locataire paie au moins la moitié des frais de location ? Que le syndic ne soit qu'aux ordres du conseil syndical et de la majorité des copropriétaires alors qu'il a entre ses mains la valeur future du patrimoine de la totalité d'entre eux et qu'il doit aussi veiller au confort et à la qualité de vie de tous les résidants, y compris les locataires ?
Si le "b.a.ba" du marketing est de se demander "quel est mon marché, quel est le besoin que j'adresse, quel est le produit ou service que je propose, et à quel prix je peux le vendre", force est de constater qu'il reste du travail à accomplir...
Comme on le voit, les sujets de fond ne manquent pas pour des débat sérieux, sans démagogie, ni complaisance. Des Etats Généraux, même lancés en contre-feu d'une réforme critiquée, en fournissent une occasion inespérée, et constituent de ce fait une initiative qu'il faut saluer. Faisons le voeu qu'elle ne rejoigne pas le long catalogue des occasions manquées !
(1) Universimmo.com - 9 novembre 2010 : "D'un projet de loi sur les syndics, le gouvernement fait un projet d'encadrement de l'ensemble des professions immobilières !"
(2) Universimmo.com - février 2011 : "Les professions immobilières ne peuvent s'opposer à leur contrôle, mais doivent demander à en être le principal acteur !"
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UniversImmo.com
Commentaire posté par
La Bon Agent Immobiliier
, le
23/9/2011 à 12h59 Nous avons pu rencontrer le Député Questeur Richard MALLIE, et s’il n’est pas arrêté sur la constitution d’un ordre professionnel, il souhaite qu’une chambre de contrôle (ou médiation) soit mise en place.
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Commentaire posté par
La rédaction Universimmo
, le
3/4/2011 à 08h30 Nous l'avons cité, mais il s'est retiré des Etats Généraux...
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Commentaire posté par
Jcm
, le
24/3/2011 à 10h24 Ii y a rois syndicats, l'Unis est de loin le plus petit en termes de nombre d'adhérents ! Vous oubliez le SNPI.
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