Le coût du logement : un boulet pour le niveau de vie et l'économie
Le constat a été fait maintes fois : l'effort représenté par les dépenses liées au logement pèse fortement sur le pouvoir d'achat des ménages - le taux d'effort des locataires du privé et des primo-accédants atteint facilement 35 à 40% à Paris et dans les principales métropoles (1) -, freine la consommation, et occasionne des tensions sur les salaires et des difficultés de recrutement pour les entreprises, comme en Ile-de-France mais aussi peu ou prou dans toutes les métropoles dynamiques, comme l'attestent Pôle Emploi et les professionnels des ressources humaines. Le manque de main-d’œuvre se traduit, selon les secteurs, par des chantiers en retard, une moindre qualité de service, voire des contrats ou des activités stoppées. Preuve de la préoccupation croissante des entreprises, la SNCF vient d’annoncer un investissement de 20 millions d’euros par an pour loger les cheminots nouvellement embauchés en Ile-de-France, comme le pointe une enquête du quotidien Le Monde (2)...
Les économistes ne manquent pas de pointer depuis plusieurs années le frein que constitue pour la croissance une telle ponction sur les revenus des Français, alors que dans le même temps le développement de l'accession à la propriété freine la nécessaire mobilité de la main d'oeuvre dans une économie en mutation accélérée. Liée à la tertiarisation de l’économie et à la mondialisation, la concentration croissante des emplois à l’intérieur des grandes villes est attestée par différentes études. L'une d'entre elles, réalisée par l'OCDE indique qu'entre 2000 et 2010, la croissance du pays a été générée aux trois quarts sur les grandes aires urbaines. Cette concentration des emplois a fait flamber les prix, et avec eux dans une moindre mesure les loyers. Dans certaines villes, le logement n'est accessible qu'aux cadres, les autres travailleurs étant rejetés à la périphérie ou se rabattent sur des solutions précaires...
Faute de pouvoir - ou de vouloir - depuis des décennies enrayer cette mécanique infernale, les pouvoirs successifs n'ont cessé d'augmenter le volume de leurs interventions, soit par les aides personnelles pour alléger le fardeau des plus modestes, soit pour relancer un effort de construction qui avait singulièrement ralenti après la vague sans précédent des années 50-60. Année après année, l'effort global a enflé jusqu'à atteindre le montant astronomique annuel de 42 milliards d'euros en 2017 ! Et alors même que les difficultés de logement perdurent comme le montre d'année en année le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre (3).
Montant insoutenable pour un gouvernement qui cherche par tous les moyens de réduire la dépense publique, et ce contre les professionnels qui, pour préserver cette manne, rappellent que l'immobilier rapporte plus de 70 milliards d'euros à la collectivité, en impôts sur les revenus et les bénéfices, TVA, droits d'enregistrement, etc. Mais présenter ces recettes comme une contrepartie qui justifie la dépense est un sophisme qui piège nombre d'esprits honnêtes : si l'Etat devait dépenser un euro pour récolter un euro, il n'y aurait plus d'Etat...
Il n'en reste pas moins la nécessité de s'interroger sur l'effet des dépenses publiques et les raisons pour lesquelles la situation du logement perdure mauvaise ! Elles sont à rechercher dans les mécanismes, insuffisamment étudiés, qui conduisent à la formation des prix de l'immobilier, dont le niveau dans les zones tendues est à la racine des difficultés.
Comment une partie de la population profite de la dépense publique
Première intox à lever : ce ne sont pas les prix des terrains ni les coûts de construction qui tirent les prix, mais les marchés immobiliers locaux, et nécessairement celui qui pèse le plus lourd en volume, à savoir le marché de l'ancien. Le neuf se cale par rapport aux prix de ce marché en y ajoutant une prime de qualité, et le prix des terrains se forme par déduction du bénéfice attendu par le promoteur, et du coût de construction, qui est une donnée. Ce qui reste étant ce que le promoteur ou l'aménageur peut consacrer au terrain, pas un centime de plus faute de quoi l'opération ne peut se faire !
En second lieu, sur les 40 milliards de dépense publique maintenue malgré les coupes, 16 milliards sont consacrés aux aides personnelles au logement, qui vont essentiellement aux locataires ou perçues directement par leurs bailleurs, lesquels peuvent percevoir des loyers que leurs locataires ne pourraient régler. En schématisant, on peut dire qu'elles profitent donc intégralement aux propriétaires, qui sans elles auraient fixé des loyers moins chers, et auraient donc acheté moins chers leurs logements ou leurs immeubles, ce qui aurait pesé sur... le prix des terrains...
En troisième lieu, le reste de la dépense publique - incitations fiscales aux bailleurs privés, subventions, bonifications d'intérêts sur les prêts, etc. est affectée grosso modo à aider la construction, soit privée, soit publique, ce qui permet aux promoteurs de vendre un peu plus cher, et aux investisseurs privés de payer leur investissement un peu moins cher, ou encore aux bailleurs sociaux de payer le foncier un peu plus cher, aux propriétaires de terrains privés, ou aux collectivités qui se les sont assurés...
En quatrième lieu, les propriétaires privés s'enrichissent aussi par l'effet de l'investissement public dans les transports, l'aménagement urbain, ou la réalisation d'équipement collectifs qui augmentent l'attractivité des villes. Combien les revenus locatifs et les plus-values latentes ou réalisées par les propriétaires de Bordeaux doivent aux investissements d'amélioration de leur mairie et au TGV financé directement et indirectement par l'Etat ? Est-ce un hasard si la France est championne à la fois en infrastructures publiques urbaines et de transport, qui font une grande partie de son attractivité, et du patrimoine immobilier par habitant, malheureusement concentré sur une partie minoritaire de la population (4) ?
Un formidable accélérateur d'inégalités des chances
Enfin, l'absence de véritable régulation urbaine de la mixité sociale à grande échelle, permet aux propriétaires de patrimoines immobiliers d'organiser eux-mêmes leur enrichissement par l'effet de la ghettoïsation des quartiers aisés, de la concentration dans leurs quartiers des meilleures écoles et établissement d'enseignement, ou encore des meilleures infrastructures culturelles. Ce qui a évidemment pour effet d'y augmenter les prix et d'en éloigner les catégories sociales plus modestes par un inexorable "phénomène de l'escargot" (5)...
Ainsi, l'immobilier est devenu en quelques décennies un formidable accélérateur de l'inégalités des chances, car ceux qui n'ont pas les moyens d'habiter dans les quartiers chers, ne peuvent faire profiter à leurs enfants des meilleurs lycées ou des meilleures universités !
Courir deux lièvres à la fois ?
Peut-on laisser cette mécanique fonctionner en roue libre, sachant qu'aucun dispositif d'autorégulation ne semble fonctionner, et qu'elle creuse sans cesse les inégalités entre les territoires et les catégories sociales, au risque d'accroître le malaise social qui s'est révélé par le soutien spectaculairement massif dans la population du mouvement des "gilets jaunes" ?
Mais décider de s'y attaquer n'est pas simple. Vouloir ne serait-ce que figer les prix et les loyers est une atteinte au droit de propriété, et une menace sur les patrimoines immobiliers constitués par tous ceux qui ont pu ou su investir au bon moment et au bon endroit, ou qui ont hérité de parents ou grands parents qui ont eu cette opportunité. C'est aussi s'attaquer aux catégories influentes du pays car élites économiques ou politiques et propriétaires immobiliers se recoupent largement. Il est symptomatique qu'aucun gouvernement de gauche n'ait vraiment osé désespérer Boulogne au profit de Billancourt, et que les peu qui s'y sont essayé (rappelons-nous de Cécile Duflot) n'ont pas duré longtemps... Et une fois de plus sous l'actuel gouvernement, les seuls sacrifices demandés pour réduire la dépense publique l'ont été au logement social, en prenant soin d'épargner les bailleurs privés (6) !
A vouloir courir deux lièvres à la fois, ne pas désespérer les investisseurs et satisfaire vaille que vaille les besoins de logements, on s'interdit toute mesure de court terme comme l'encadrement des loyers au motif que ce serait contre-productif (ce ne serait pas dans l'intérêt des locataires car cela conduirait à terme à une réduction de l'offre de logements locatifs, comme si les investisseurs découragés détruiraient leurs immeubles au lieu de les revendre...).
Mais faire croire que la simplification des normes de construction et des règles d'urbanisme, la lutte contre les recours abusifs, et les incitations fiscales au privé vont créer un "choc d'offre" de nature à faire naturellement baisser les prix et les loyers, crédo essentiel de la loi "ELAN" et de quelques autres réformes en chantier, relève d'une double hypocrisie : d'une part parce que de toute évidence, le nombre de logements nouveaux nécessaires pour peser sur les marchés tendus est hors de proportion avec ce que les terrains disponibles peuvent porter. En second lieu parce que la partie du pays qui s'est enrichie grâce à l'immobilier, et qui verrait son patrimoine et ses revenus rognés par une baisse des prix et des loyers, n'a aucun intérêt à ce que cette politique réussisse !
Pour une politique vraiment "disruptive" !
Le réalisme voudrait pourtant que le statu quo des politiques du logement actuelles ne soit plus une option, et que l'on ne puisse même plus se contenter d'un gel du niveau de prix actuel, tant il est devenu anti-économique !
Cinq axes d'action sont nécessaires, visant de manière assumée à faire baisser les prix des secteurs qui se sont le plus apprécié, seul moyen d'enclencher un mécanisme inverse de celui en oeuvre aujourd'hui, à savoir un "phénomène de l'escargot" à l'envers :
- une politique agressive de mixité sociale, avec pour leviers majeurs le logement social, quitte à faire mettre en oeuvre par l'Etat une politique foncière énergique, avec des moyens tels que la préemption, la réquisition ou la déclaration d'utilité publique ;
- une réorientation de la dépense fiscale consacrée aux régimes de défiscalisation du logement locatif privé intermédiaire vers le logement social, très largement prioritaire pour satisfaire la demande des plus mal logés (rappelons que plus de la moitié de la population française a un niveau de ressources le rendant éligible au logement social !) ;
- un encadrement des loyers à la baisse dans toutes les zones tendues - et pas seulement aux loyers médians qui maintiennent le statu quo - ;
- une politique fiscale décourageant les effets d'aubaine et l'enrichissement par la gentrification et la valorisation créée par l'investissement public, et ce par trois leviers principaux :
.une fusion de l'IFI (impôt sur la fortune immobilière) et de la taxe foncière, avec une taxation sur la valeur vénale patrimoniale réelle, mais déduction faire des emprunts ;
.une imposition plus forte des plus-values, étendue à la résidence principale, sauf sur la partie du prix de vente réemployée à l'acquisition d'un autre bien ;
.et surtout une imposition forte sur les successions, au dessus d'un seuil, par héritier et non par héritage, mettant à l'abri les petits patrimoines (par exemple 1 million d'euros).
Afin de peser sur les prix de vente, les plus-values pourraient être imposées de manière progressive, en tenant compte de l'érosion monétaire mais pas de la durée de détention. Elles viseraient à capter au moins partiellement la valeur prise par les biens qui ne correspond ni à des travaux (ceux-ci seraient bien entendu déductibles du calcul de la plus-value), ni à un travail : celle créée par la métropolisation qui fait monter les prix par la concentration de la demande, et celle créée par l'investissement public. Son produit devrait justement être fléché vers le financement des infrastructures et des équipements urbains (écoles universités, équipements culturels et sportifs, transports, etc.). Quant à la nouvelle taxe foncière, elle devrait conserver, bien qu'intégrant l'IFI, son rôle de financement des collextivités locales.
Mesures révolutionnaires ? Elles sont pourtant citées ici et là par des économistes, et même le président de la République, intervenant dans un débat fin janvier, a convenu de l'illégitimité de la non imposition des plus-values occasionnées par l'investissement public (7).
Nous pressentons bien entendu la véhémence des protestations que sont susceptibles de provoquer de telles propositions ! Ce qui touche la propriété privée tient du sacrilège méritant le bûcher. On prédira les sept plaies d'Egypte, et pour protéger les intérêts des plus gros patrimoines, on mettra comme d'habitude en avant les plus modestes des propriétaires, alors qu'il est facile par des mécanismes de seuils et progressivité de les en épargner !
Force est de constater qu'elles impliquent nécessairement une révolution culturelle ! La perception de normalité de la situation actuelle, qui nous mène pourtant dans le mur, est telle dans les esprits que la moindre de ces mesures fait frémir. L'idée que l'immobilier est une valeur refuge indispensable, et que les plus-values sont la récompense normale de l'investisseur chanceux sont profondément ancrées dans la culture française. Au point que les médias, dans leurs articles sur le marché immobilier mettent - sans y penser ? -, en vert les prix qui montent et en rouge les prix qui baissent, alors que l'intérêt de la majorité de la population voudrait que l'on fit l'inverse !
Alors qu'à l'évidence, la cartographie du mal-logement, de l'échec scolaire et du chômage coïncident avec une netteté croissante...
La rédaction du site Universimmo.com
(1) Crédit Foncier - 16 février 2018 : "Le taux d’effort des ménages pour se loger"
(2) Le Monde - 3 février 2019 : "Emploi, le défi du logement"
(3) Fondation Abbé Pierre - 24ème Rapport sur l'état du mal-logement en France en 2019
(4) INSEE Economie et Statistique / Economics and Statistics n° 500-501-502 - 2018 - Logement et marchés du logement
(5) On a appelé "phénomène de l'escargot" le mécanisme - observé notamment en région parisienne mais aussi sur toutes les métropoles dynamiques - qui consiste, par la hausse des prix des quartiers centraux chers, à repousser les habitants moins aisés vers les quartiers plus périphériques, qui par l'effet de "gentrification" se renchérissent à leur tour et repoussent leurs habitants modestes plus loin, et ainsi de suite...
(6) Universimmo.com - 12/11/2018 : "La loi ELAN, fourre-tout brouillon d'une politique du logement chaotique"
(7) Le Figaro - 1er février 2018 : "Macron relance l’idée d’une surtaxation de l’immobilier"
UniversImmo.com
Commentaire posté par
Hugues
, le
3/5/2019 à 11h14 J'avoue ne pas bien comprendre également pourquoi le logement ou plutôt l'immobilier en général est autant oublié des débats. Pourtant, cela représente la plus grande dépense d'un ménage. La progression du pouvoir d'achat commence donc pas cette dépense. Travaillant dans l'immobilier, je me rend compte tous les jours des améliorations qui peuvent être faites, notamment dans le déroulement d'une vente à un promoteur.
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Hugues
, le
3/5/2019 à 11h13 J'avoue ne pas bien comprendre également pourquoi le logement ou plutôt l'immobilier en général est autant oublié des débats. Pourtant, cela représente la plus grande dépense d'un ménage. La progression du pouvoir d'achat commence donc pas cette dépense. Travaillant dans l'immobilier, je me rend compte tous les jours des améliorations qui peuvent être faites, notamment dans le déroulement d'une vente à un promoteur.
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