Recherche d'économies et arrières-pensées
Commencée à l'occasion de la revue des fonds de tiroirs budgétaires pour boucler la loi de finances, la réforme du logement social a été parée du noble objectif de la rationalisation ! Est-ce le signe d'une improvisation - le projet ne figurait pas dans le programme de la République En Marche - ou d'une démarche masquée qui laisse poindre les visées du MEDEF - ce dernier est en pleine reprise en mains d'Action Logement, ensemble d'acteurs gérés paritairement avec les syndicats en faveur du logement social et intermédiaire des salariés du secteur privé -, et au delà celles des milieux qui souhaiteraient une libéralisation et un plus grand accès du privé dans ce secteur largement aidé, laissant aux acteurs publics la partie concernant les populations les plus démunies (le "très social", les foyers, etc.) ?
L'historique de l'affaire est édifiant :
- acte 1 : la bourde, à savoir la réduction uniforme de 5 euros des aides personnelles au logement (les "APL" qui recouvrent l'aide personnalisée au logement du secteur conventionné et les allocations de logement du secteur libre) ; le tollé suscité a vite convaincu le gouvernement qu'il ne pourrait aller plus loin sans se mettre à dos les propriétaires privés !
- acte 2 : le gouvernement se convainc qu'il ne fera des économies dans les 18 milliards du budget des APL, en perpétuelle croissance, qu'en tapant dans le ventre mou du logement à savoir le secteur social, et mettant en avant ce que disent les milieux libéraux du logement social : il y a de l'argent caché, celui des "dodus dormants", etc. Feignant d'ignorer bien entendu que cette appréciation globale, si elle recouvre une vraie réalité d'organismes HLM en zones non tendues qui se contentent de gérer sans grands efforts un patrimoine largement amorti, fait fi de celle de la majorité des autres fragilisée depuis des années par la rareté et le renchérissement du foncier et le désengagement de l'Etat dans le financement des nouvelles constructions. Résultat : on va tailler 1,7 Milliards par an dans le budget des APL et ce sont les bailleurs sociaux qui paieront via une baisse équivalente de leurs loyers !
Acte 3 : anticipant le tollé provoqué dans le monde HLM, le gouvernement engage une stratégie de restructuration du secteur visant aussi à le diviser entre ses différentes composantes : le secteur privé avec notamment la galaxie Action Logement, gérée de manière paritaire par les partenaires sociaux mais, avec la fragilisation des syndicats de salariés, en pleine reprise en mains par le MEDEF, les offices communaux et départementaux liés politiquement aux collectivités territoriales et le monde des coopératives, dernier bastion de la gauche politique mais en fait très divers... Puisque l'amputation sur les loyers atteint la marge des organismes et par là leur capacité d'autofinancement - la crainte d'une baisse de la construction et de ses effets sur le bâtiment fonctionne bien -, on va les aider à compenser par l'apport de financements nouveaux (v. ci-après), mais il faut aussi que le secteur s'aide lui-même : en atteignant enfin les objectifs fixés depuis plus de 10 ans de vente des logements amortis aux locataires (40.000 ventes par an, voir 50 ou 60.000 au lieu des 7-8.000 péniblement réalisées actuellement...), sans trop se poser de questions sur les difficultés soulevées par ces ventes, et en faisant des économies d'échelle et de coûts de structure par les regroupements d'organismes et la mise en commun de moyens !
Entre la loi de finances votée en fin 2017 et le projet de loi "ELAN" dont la discussion a commencé au Parlement, cette stratégie a été mise en oeuvre à marche forcée sans que le mouvement HLM, sidéré, ait pu s'y opposer ! Comment ? Tout bêtement par la vieille technique du "diviser pour régner" ! On choie d'un côté Action Logement avec un plan à 5 ans qui préserve ses ressources régulièrement convoitées (le "1% Logement", en fait la participation des employeurs à l'effort de construction ou PEEC), et on bouscule de l'autre côté les offices sommés de se marier pour constituer des ensembles viables et abandonner quelques positions trop confortables...
Et ça marche, tout le monde s'y est mis, comme dans un grand réflexe de survie ! Le secteur HLM ressemble aujourd'hui à un vaste chantier avec dans le privé des fusions de 4, 5, voire plus d'organismes, et partout une accélération d'un mouvement, commencé il est vrai déjà depuis quelques années, de création de structures communes - coopératives, GIE, filiales communes - pour la gestion de la recherche de foncier, les centres d'appels, la gestion des copropriétés issues de la vente des logements aux locataires, la maîtrise d'ouvrage, etc., y compris entre privés et offices publics, véritables mariages parfois de carpes et de lapins...
Quant à l'Union Sociale de l'Habitat (USH - ex Union des HLM) qui regroupe toutes les familles du monde HLM, après avoir mené la fronde, elle a signé le 4 avril un protocole d'accord avec l'Etat fixant un "cadre commun" d’intervention pour accompagner les réformes en cours et à venir sur 2018-2021, contre la réaffirmation de "la nécessité de renforcer le modèle français du logement social"...
La Caisse des Dépôts à la rescousse
Pour amadouer le secteur, le gouvernement dispose aussi d'un outil merveilleux, la très vielle, très puissante et très riche Caisse des Dépôts et Consignations qui recueille les ressources du livret A, fléchées vers le logement. Un dispositif de soutien, d'un montant de 6 milliards d'euros, avait déjà été annoncé courant février 2018. Celui-ci va être complété par 4 milliards de nouveaux produits, une information confirmée par le directeur général de la CDC, Eric Lombard, lors d'une conférence de presse le 5 avril. Ce qui porte donc à 10 milliards le montant du soutien aux organismes de logements sociaux : 2 milliards d'euros de prêts de haut de bilan bonifiés à taux zéro par Action Logement, 4 milliards d'euros de prêts à taux fixe (dont 2 milliards d'euros de prêts pour le réaménagement de la dette des organismes de logements sociaux, 1 milliard pour soutenir la construction et 1 milliard pour des travaux de réhabilitation thermique). Des dispositifs qui viennent compléter ceux déjà en place comme le milliard d'euros de fonds propres en soutien à la construction et les 3 milliards d'avance de trésorerie. La Caisse des dépôt précise par ailleurs le prolongement de l'éco-prêt spécial logement social pour 3 milliards sur 5 ans.
Une stratégie cachée ?
Plusieurs trames apparaissent derrière le tableau lisse d'une politique censée renforcer le logement social.
D'abord le traitement différencié à l'égard de la galaxie d'Action Logement. Une nouvelle convention quinquennale (2018-2022) entre l’Etat et le groupe Action Logement a été signée le 22 janvier dernier. Ce document prévoit une série d’engagements de ce dernier, fort de sa collecte de 3,5 milliards d'euros par an : soutien au Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), aide à la rénovation énergétique du parc privé et à la lutte contre la fracture territoriale et la rénovation des centres des villes moyennes, financement du Fonds National des Aides à la Pierre (FNAP), soutien exceptionnel à l’investissement en faveur des organismes de logement social au travers la bonification de 2 milliards d’euros de prêts de la CDC haut de bilan mentionnée ci-dessus, création d’une foncière, structure de portage facilitant la vente de logements sociaux aux locataires, dans le but de l'accélérer et dégager pour les organismes HLM qui lui céderaient des immeubles en bloc des fonds propres pour la production de nouveaux logements, co-financement entre Action Logement et l’Etat de 40.000 logements dédiés aux jeunes sur les cinq prochaines années, dont la moitié destinés à des jeunes actifs et des jeunes travailleurs, enfin la pérennisation et l'élargissement de la caution locative Visale.
Tout cela en contrepartie de la pérennisation de cette structure de collecte maintes fois menacée de disparition par fiscalisation de la PEEC. Du coup, pas question pour Action Logement de soutenir la fronde des autres organismes et notamment des offices publics, qui se sont retrouvés bien seuls dans leur résistance, et l'ont fait savoir par une violente attaque contre les "traitres", allant même jusqu'à menacer de remettre en cause devant les instances européennes la légitimité de la collecte de la PEEC par le groupe...
Seconde trame apparaissant de plus en plus nettement : une privatisation à terme de la partie du parc la moins sociale. On entend déjà des voix demandant que des investisseurs privés puissent participer au capital de la foncière à créer par Action Logement pour acheter des immeubles en bloc aux bailleurs qui n'arrivent pas à vendre assez rapidement. Tout est fait de plus - augmentation des surloyers, remise en cause du maintien dans les lieux, etc. - pour que les locataires les plus aisés achètent leur logement ou partent dans le privé ou l'intermédiaire dans lequel la Caisse des Dépôts et ses filiales investissent massivement, notamment dans le Grand Paris. Mais aussi Action Logement via sa filiale In'li...
Ainsi serait réalisé le rêve des libéraux de restreindre le logement social subventionné au logement des locataires les plus modestes, et de rendre le reste du parc au marché libre et aux investisseurs privés. Au risque bien sûr de ghettoïser encore plus les HLM...
Théorie du complot ? Pas si sûr : ni les mesures financières d'accompagnement du gouvernement, ni les regroupements d'organismes, volontaires ou forcés - sous l'injonction de la loi ELAN qui situe à 15.000 logements la taille minimale d'un bailleur social à atteindre dans les 3 ans (861 bailleurs sociaux du pays gèrent aujourd'hui 4,8 millions de logements, soit environ 5.600 par organisme en moyenne...) -, ne compenseront la baisse forcée des loyers. Les fusions ne permettront pas de grandes économies d'échelle dans la gestion des parcs immobiliers : si des réductions de postes sont à prévoir dans les états-majors, il faudra bien gérer les immeubles et conserver les services de gestion locative comme les agences de proximité ! Quant à la "meilleure circulation des capitaux" permise par les regroupements, ses effets n'auront qu'un temps : les "dodus dormants" sont petits et seront vite digérés !
Les organismes HLM vont donc devoir se forcer à vendre leurs patrimoines les plus vendables, c'est à dire les mieux situés et les mieux occupés, avec des locataires solvables. En fait le patrimoine situé dans les grandes villes et les quartiers recherchés, objet de toutes les convoitises. Une mécanique implacable, dans la logique économique qui prévaut aujourd'hui, mais qui peut s'avérer aussi contre-productive pour les milieux qui la prônent : la compétitivité économique des bassins d’habitat les plus tendus, qui sont aussi ceux où le développement économique est le plus intense se trouve posée : les entreprises peinent en effet de plus en plus à recruter des salariés qui ne sont plus en mesure de se loger à des prix en adéquation avec leur rémunération...
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