La fin d'une dérive...
Le nouvel article 6-2 du décret du 17 mars 1967 créé par le décret du 27 mai 2004 (1) ne change pas les règles de droit qui s'appliquent depuis l'origine aux ventes en copropriété : il ne fait que mettre un terme à une pratique qui s'en était écartée, les syndics s'étant au fil du temps laissés entraîner à délivrer aux copropriétaires deux services que la loi ne leur imposait pas, et qui se sont avérés source d'innombrables complications :
- le calcul du partage des charges de l'exercice en cours entre vendeur et acquéreur prorata temporis,
- l'acceptation du rôle d'exécuteur des conventions passées entre les parties à la vente, notamment lorsque celles-ci mettaient au compte du vendeur la charge des travaux votés avant la vente, mais non encore exécutés lors de sa conclusion !
Partant d'une bonne intention, leur conséquence perverse était l'impossibilité de solder et clôturer définitivement le compte du vendeur avant de nombreux mois, voire plusieurs années, et le fait de devoir, dans l'intérêt des copropriétés concernées, demander aux vendeurs de confortables provisions "pour apurement des comptes", en attendant d'arrêter et faire approuver les comptes de l'exercice en cours, et en cas de travaux, d'en arrêter le solde définitif, après réception et règlement des litiges éventuels... Avec la tentation de conserver ces provisions le plus longtemps possible, et même ne jamais les rembourser quand le vendeur oubliait de les réclamer !
Cette pratique n'a désormais plus cours !
Après avoir distingué avec précision les "provisions" appelées par le syndic au titre du budget prévisionnel ou pour travaux "en attente du solde définitif qui résultera de l'approbation des comptes du syndicat", et les "avances", appels de fonds "destinés, par le règlement de copropriété ou une décision de l'assemblée générale, à constituer des réserves, ou qui représentent un emprunt du syndicat auprès des copropriétaires ou de certains d'entre eux" (en fait le "fonds de roulement", les appels pour travaux futurs, les appels pour couvrir des impayés, etc.), et fixé le principe selon lequel les "avances" sont intégralement remboursables aux vendeurs, le décret du 27 mai revient à un principe simple :
- les provisions (pour budget ou travaux) exigibles à la date de la notification du transfert de propriété sont acquises au syndicat, et celles exigibles après cette date incombent à l'acquéreur,
- le "trop ou moins perçu sur provisions, révélé par l'approbation des comptes", profite ou incombe à "celui qui est copropriétaire lors de l'approbation des comptes"...
Plus question par conséquent de demander au vendeur des provisions en vue de l' "apurement des comptes", puisque son compte ne pourra plus être mouvementé après la vente, ni d'une régularisation des provisions du budget prévisionnel par rapport à un calcul des charges prorata temporis, ni d'imputations d'appels de fonds et de régularisations pour des travaux votés avant la vente et mis à sa charge dans les conditions particulières de l'acte de vente !
La Commission relative à la copropriété peut donc affirmer dans sa 24ème recommandation (2) que "l'application des règles précitées interdit au syndic de conserver des fonds postérieurement à la réception de la notification prévue à l'article 6", et "qu'en conséquence les comptes d'attente vendeur ne sont plus possibles". Autrement dit, le compte du vendeur peut et doit être soldé définitivement au lendemain de la notification de la vente !
On notera au passage que le décret rétablit l'ordre des opérations tel qu'il doit être, et que la jurisprudence a toujours confirmé, à savoir que l'approbation des comptes généraux du syndicat doit précéder la répartition des charges et l'établissement des comptes individuels ; il rappelle aussi que "l'approbation des comptes du syndicat par l'assemblée générale ne constitue pas une approbation du compte individuel de chacun des copropriétaires" (article 45-1), ce que la jurisprudence a aussi toujours confirmé !
Les 99% au moins de syndics qui faisaient le contraire vont donc devoir modifier leur fonctionnement et leur planning de travail, et les copropriétaires devront s'habituer à recevoir leurs régularisations des charges de l'exercice beaucoup plus tardivement, puisque le syndic ne pourra tirer leurs décomptes qu'après l'assemblée annuelle, et à condition qu'ils n'aient pas refusé l'approbation des comptes généraux...
La fin des litiges ?
Si les règles rappelées par les nouveaux textes ont le mérite de la clarté, force est de constater qu'elles heurtent des habitudes et des idées reçues fortement ancrées qu'il sera difficile de faire abandonner par les copropriétaires tout autant que par ceux qui concourent habituellement à la conclusion et à la régularisation des transactions de vente : agents immobiliers et notaires...
Et surtout elles impliquent que vendeurs et acquéreurs, s'ils refusent de s'appliquer tel quel l'article 6-2, très brutal dans sa simplicité, fassent leur affaire entre eux de l'application de conventions qui y dérogeraient, celles-ci n'étant pas, comme le rappelle indirectement la recommandation citée de la Commission relative à la copropriété, opposables au syndicat des copropriétaires ! Or ceux-ci, poussés par des notaires qui ont toujours refusé par opportunisme à jouer le rôle d'exécuteurs des conventions des parties et de séquestre qui pourtant leur incombe en tant que rédacteurs d'actes, ont pris l'habitude de s'adresser au syndic, le mettant souvent bien malgré lui - et le syndicat des copropriétaires par la même occasion - dans un rôle d'arbitre de litiges d'interprétation qu'il n'a pas la vocation de trancher !
Or rien n'est moins sûr, pour au moins quatre raisons :
- le "compte prorata" sur les charges de l'exercice en cours est inscrit dans les habitudes prises depuis des décennies ; or les copropriétaires d'aujourd'hui ont tous été acquéreurs sous ce régime, et ceux qui vendront en début ou milieu de trimestre auront du mal à abandonner leur provision avancée pour tout le trimestre...
- dans de nombreux immeubles les consommations d'eau chaude et même d'eau froide sont relevées au moyens de compteurs : la Commission relative à la copropriété a beau recommander "que dans le cas de services collectifs avec comptage individuel (eau froide, eau chaude, chauffage, climatisation...) il appartient [aux parties], pour régler éventuellement les rapports entre elles, de procéder aux relevés nécessaires", acquéreurs et vendeurs risquent de se retourner vers le syndic pour l'imputation au vendeur de sa consommation à la date de la vente !
- les syndics qui facturaient de confortables honoraires pour le "compte prorata" et l'initialisation du compte acquéreur risquent de résister à l'idée que tout cela devient désormais sans justification...
- l'idée que les travaux votés avant la vente mais dont les appels de fonds aux copropriétaires n'ont pas encore été effectués en totalité doivent nécessairement incomber au vendeur est une autre idée reçue tenace, qu'agents immobiliers et notaires ont même réussi à faire passer auprès des copropriétaires et des syndics pour une règle légale ! Les actes de vente risquent donc d'être encore longtemps rédigés en ce sens, et les syndics probablement continuer à recevoir au lendemain des signatures des chèques pour des sommes qu'ils n'ont pas demandées, et qu'ils devront - sauf à les retourner ce qui ne serait pas compris - conserver pour y imputer les appels à venir dont les acquéreurs ne voudront évidemment pas entendre parler !
Au risque au demeurant que la provision reçue ne suffise pas, ce qui est une des sources principales de conflits à l'occasion des ventes traitées selon les règles antérieures...
Du coup, la recommandation de la Commission aux rédacteurs des actes de vente, et en particulier ceux de l' "avant-contrat" - promesse ou compromis de vente - ou se fixent à la fois le prix et les conditions de la vente, "d'appeler tout spécialement l'attention des parties (...) sur les charges de nature à leur incomber définitivement au titre des dépenses" risque sans une forte dose de bonne volonté et de sens des responsabilités de rester un voeu pieux...
C'est en réalité très en amont que la pédagogie nécessaire doit être effectuée, en fait de façon privilégiée auprès des vendeurs car, concernant notamment les travaux qui portent sur des sommes conséquentes, elle influe sur la fixation du prix : l'acquéreur d'un appartement qui doit prochainement supporter une quote-part de ravalement de 5 à 8.000 euros ne paiera pas le même prix si les travaux doivent être à sa charge, et pourtant son intérêt bien compris est qu'ils le soient, même s'ils ont été votés avant son acquisition, puisque la réduction du prix de vente d'autant fait aussi baisser les frais de mutation !
Or force est de constater que, plus de huit mois après la publication des nouvelles dispositions et près de six mois après leur entrée en vigueur, l'information du grand public comme des professionnels, et notamment des agents immobiliers, reste confidentielle...
(1) notre article "Sérieux toilettage des règles de fonctionnement des copropriétés" (juin 2004)
(2) Recommandation n°24 : relative à l'article 6-2 du décret du 17 mars 1967 - La commission relative à la copropriété siège auprès du ministre de la justice ; elle a été instituée après d'importantes modifications de la loi du 10 juillet 1965 et du décret du 17 mars 1967, introduites par la loi du 31 décembre 1985 et le décret du 9 juin 1986, et a pour objectif de faire le point des difficultés d'application de cette législation autant que formuler des avis sur ses éventuelles modifications.
Voir aussi notre dossier sur "La vente et l'achat en copropriété"
UniversImmo.com
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