Quelle mouche a piqué le ministère pour remettre sur le métier un décret qui depuis quinze ans, dans la droite ligne des "accords Delmon" des années soixante dix assurait la paix civile entre propriétaires et locataires ? Ce sujet ne figurait d'ailleurs dans aucun des discours-programmes du ministre à la fin de l'an dernier et aucune demande pressante, au moins exprimée ouvertement, ne semblait monter du "terrain", ni de la part des associations de locataires, ni de celle des bailleurs et professionnels...
Il est vrai que les seconds n'ont pas trop intérêt à attirer l'attention sur leurs intentions, et les premiers en sont toujours probablement à évaluer l'usage qu'ils peuvent faire et les dégâts potentiels d'une véritable bombe à retardement : deux arrêts de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation du 5 mai et du 30 octobre 2002 !
De quoi s'agit-il ? En fait il aura fallu attendre quinze ans pour s'apercevoir, le temps que les contentieux se produisent et montent jusqu'à la juridiction suprême, que certaines formulations du décret n°87-713 du 26 août 1987 fixant de façon strictement limitative la liste des charges récupérables, limitaient très fortement les possibilités de récupération des propriétaires, au delà probablement des intentions de leurs rédacteurs !
Les arrêts mentionnés avaient déjà été précédés par un coup de semonce concernant les frais de main d'oeuvre de débouchage des vides-ordures : un arrêt de la même Chambre du 10 mars 1999 (1) faisait remarquer que l'annexe du décret comportait une liste ne mentionnant pas les frais de débouchage des vide-ordures et ne visant que les produits de désinsectisation et de désinfection, la main d'oeuvre incluse dans un facturation de prestation n'était pas récupérable...
Mais cette fois, ce sont deux postes de charges importants dont la récupérabilité est mise en cause !
L'arrêt du 7 mai (2) met en cause la récupérabilité des 75% du salaire et des charges sociales d'un gardien dans des circonstances particulièrement fréquentes, à savoir si celui-ci n'assure pas dans ses tâches contractuelles le nettoyage des parties communes et le service des ordures ménagères : il fait remarquer que l'article 2c du décret lie cette récupérabilité au fait que le gardien assure "l'entretien des parties communes et l'élimination des rejets", les deux tâches étant considérées cumulativement ! Si au moins l'une des deux n'est pas assurée, aucune récupération de son salaire ne peut être effectuée...
Quant au second, du 30 octobre 2002 (3), il met en cause carrément la récupérabilité des prestations de nettoyage lorsque celles-ci sont effectuées par une entreprise !
Avec au demeurant un raisonnement subtil mais inattaquable : il fait remarquer que le décret, concernant l'entretien des parties communes, s'il admet (article 2a) qu'il "n'y a pas lieu de distinguer entre les services assurés par le bailleur en régie et les services assurés dans le cadre d'un contrat d'entreprise" et que "le coût des services assurés en régie inclut les dépenses de personnel d'encadrement technique", précise néanmoins que "lorsqu'il existe un contrat d'entreprise, le bailleur doit s'assurer que ce contrat distingue les dépenses récupérables et les autres dépenses" et par ailleurs indique que "lorsque l'entretien des parties communes et l'élimination des rejets sont assurés par un employé d'immeuble, les dépenses correspondant à sa rémunération et aux charges sociales et fiscales y afférent sont exigibles, en totalité, au titre des charges récupérables"...
Conclusion logique : dans une prestation d'entreprise : sont récupérables les salaires et charges sociales des employés effectuant le travail et ceux du personnel d'encadrement technique, mais pas les frais généraux de l'entreprise... ni son bénéfice !
Ceux qui auront vu au moins une fois dans leur vie une entreprise mettre en évidence sur sa facture la décomposition de son prix de vente de la prestation et sa marge de profit pourront récupérer quelque chose sur leurs locataires...
Voila de quoi ouvrir un boulevard aux locataires qui souhaitent contester leurs charges locatives, et ce sans limite de durée autre que celle de la conservation de leurs archives : la prescription en matière de "répétition" de sommes réglées indûment est de trente ans (CA Versailles, 1ère Ch., 2 juin 2000) !
Dans la mission confiée à Philippe PELLETIER, Président de l'ANAH (Agence Nationale d'Amélioration de l'Habitat), dont les conclusions sont attendues pour le mois de juin 2003, le ministère constate pudiquement que des prestations correspondant à de nouveaux besoins ne sont pas mentionnées, "notamment en matière de sécurité, de sûreté et de nouveaux services aux habitants tels que la télésurveillance, la domotique, les antennes paraboliques", que "par ailleurs, les textes ne prennent pas suffisamment en compte plusieurs questions importantes tant pour les locataires que pour les propriétaires. Il s'agit notamment de la maîtrise et de la transparence des charges", et qu'enfin "l'adéquation des charges aux services effectivement rendus aux locataires constitue un sujet essentiel qui jusqu'à présent n'avait pas été abordé. Il paraît aujourd'hui indispensable de mieux prendre en compte cette dimension"...
Avis en tous cas aux rédacteurs de décrets saisis - c'est la maladie du siècle - par la manie du détail : à trop vouloir préciser les choses, on risque de se prendre les pieds dans le tapis...
(1) Cass. 3ème Ch. civ. 10 mars 1999, n°97-10499
(2) d°, 7 mai 2002, n°00-16268
(3) d°, 30 octobre 2002, n°01-10617
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