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ACTUS
Vague sans précédent de ventes d'immeubles locatifs...
Le
14/6/2006
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Ventes "en bloc" ou ventes par lots "à la découpe", le mouvement s'accélère et touche un nombre croissant de propriétaires institutionnels, en première ligne les "foncières" cotées, tentées de prendre leurs bénéfices après la montée vertigineuse des prix de ces dernières années, notamment à Paris, où les prix ont plus que doublé en euros courants depuis la reprise de la hausse en 1998... De nature à détendre quelque peu le marché de la vente, cette tendance met des milliers de locataires, en place souvent de longue date, dans une précarité imprévue, les prix qui leurs sont proposés dans le cadre de leur droit de préemption étant la plupart du temps, même avec une relative décote pour vente en état d'occupation, au dessus de leurs possibilités ! Il est douteux que dans le contexte actuel la nouvelle loi proposée et votée par la majorité parlementaire y change grand chose, à moins d'un exercice massif du droit de préemption des maires, au moyen de financements qui restent à imaginer...
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Accélération
Le phénomène n'est pas nouveau, comme en témoignent les dates des textes successifs destinés à protéger les droits des locataires des immeubles vendus en état d'occupation : lois du 31 décembre 1975, du 22 juin 1982 (loi Quillot), du 13 décembre 2000 (SRU) et - dernière en date - du 14 juin 2006, et accords collectifs du 9 juin 1998 et du 16 mars 2005 !
Recherche de meilleures rentabilités, désir d'afficher des résultats à un moment où les restructurations et rachats de foncières se multiplient, conviction que la hausse des prix de ces dix dernières années touche à sa fin ? Tout pousse en période de forte hausse des prix les propriétaires immobiliers institutionnels et notamment les sociétés immobilières cotées à empocher les plus-values latentes en vendant leurs patrimoines locatifs d'habitation, et à réinvestir le produit de ces cessions sur des actifs offrant une meilleure rentabilité. Du coup, les ventes d'immeubles se succèdent, et d'autres, encore plus nombreuses se profilent, telles celles qu'annonce une des premières foncières cotées, Gecina, qui met en vente la totalité de son patrimoine résidentiel de 18.000 appartements, répartis dans environ 200 immeubles, principalement concentré en région parisienne (94%, dont 60% à Paris) ! "La valeur de ces actifs a augmenté sensiblement l’an passé et nous voulons réaliser quelques bénéfices", a indiqué Joaquin Rivero, le président du groupe espagnol Metrovacesa, premier actionnaire de Gecina, au Financial Times...
Les vendeurs ont le choix entre deux techniques : la vente par appartements - ou vente "à la découpe" - aux locataires ou à des particuliers qui achètent pour investir ou se loger, et la vente "en bloc" (vente en une fois et en totalité d'un immeuble ou d'un groupe d'immeubles) à un investisseur, ou plus fréquemment à un "marchand de biens qui procédera lui-même à la vente "à la découpe"...
Selon une étude des notaires rendue publique en avril 2005, ce type de ventes avait déjà représenté 15% du marché parisien en 2004, soit plus de 6.300 logements, à un prix moyen variant de 3.712 à 4.381 euros le mètre carré, selon que les biens sont vendus libres ou occupés, prix inférieur à celui, moyen, de 5.400 euros le mètre carré tous types de transactions confondus...
Compte tenu du stock de logements détenu par les foncières et les compagnies d'assurance, les ventes à la découpe ont de fortes chances de se poursuivre à moyen terme, indique de son côté l'ADIL75 (1) : assaillie de demandes de locataires, l'association a mené sa propre enquête, remarquant que pratiquement tous les arrondissements parisiens sont touchés, et que le phénomène s'étend même sur certaines communes de la petite couronne, par exemple à Issy-les-Moulineaux et Rueil Malmaison. Les logements vendus sont essentiellement des trois pièces et des grands appartements.
Les locataires en place condamnés par la hausse des prix... et la moindre hausse des loyers !
Avec une augmentation moyenne des loyers de 3 à 4% par an depuis 10 ans (2,4% seulement pour ceux qui sont restés dans leur logement pendant toute la décennie et qui n'ont pas fait l'objet d'un réajustement de loyer), quand les appartements ont augmenté pendant la même période en moyenne de 7 à 10% par an (chiffres OLAP et FNAIM), les locataires en place n'offrent plus aux investisseurs, notamment en Ile-de-France et dans les grandes métropoles une rentabilité suffisante ! Résultat : la plupart des ventes d'immeubles finissent "à la découpe", soit parce que la foncière qui s'en défait y procède elle-même d'emblée, soit parce que, ne voulant pas faire le travail de la vente par appartements elle-même, elle vend l'immeuble en bloc à un acquéreur spécialisé pour y procéder, pour un prix permettant à celui-ci de se rémunérer de ses peines et soins...
Or, en raison de la hausse des prix et du retard pris par les loyers, les appartements qui ne peuvent être acquis par leurs locataires - depuis la loi du 31 décembre 1975, les vendeurs "à la découpe" sont obligés de leur proposer - ne peuvent intéresser que des acquéreurs souhaitant en faire leur résidence principale. Du coup, les locataires en place n'ont le choix qu'entre :
- acheter eux-mêmes avec une décote que l'ADIL75 estime qu'elle se situe généralement entre 10 et 15%, plus rarement 20%, voire 25%, selon la durée du bail restant à courir, sachant que les bailleurs institutionnels concluent des baux d'une durée de six ans ;
- ou se voir tôt ou tard évincer, soit par le vendeur qui souhaite vendre "libre" au prix fort (congé pour vente, autorisé par la loi du 6 juillet 1989), soit par l'acquéreur, qui ayant acheté le bien avec une décote en raison de son état d'occupation (10 à 30% suivant la durée du bail restant à courir, va vouloir le libérer pour l'habiter (congé pour reprise) ou pour le vendre lui-même libre en réalisant une plus-value !
Une nouvelle protection, aux effets incertains
Déposée début 2005 dans le climat de protestations croissantes créé par l'accélération des ventes par les institutionnels - mêlant celles légitimes de locataires aux moyens modestes menacés de devoir se reloger très loin de leur habitation actuelle, et celles moins légitimes de locataires aisés, soucieux principalement de préserver des avantages acquis (on a parlé de "révolte des beaux quartiers") - une proposition de loi de la majorité parlementaire a fait son chemin et vient d'être publiée (2). Alors que la loi du 31 décembre 1975 aménageait une protection et un droit de préemption des locataires dans le cadre des ventes d'immeubles par appartements, rien n'était prévu pour les locataires des immeubles vendus "en bloc". Cette lacune est aujourd'hui comblée par l'ajout dans la loi de 1975 d'une disposition créant un droit de préemption analogue des locataires en cas de vente d’un immeuble de plus de 10 logements "dans sa totalité et en une seule fois" autrement qu’entre parents ou alliés jusqu’au quatrième degré inclus, si l’acquéreur ne s’engage pas à proroger les baux à usage d’habitation en cours pour une durée de six ans ; le vendeur doit dans ce cas "faire connaître par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à chacun des locataires ou occupants de bonne foi l'indication du prix et des conditions de la vente, dans sa totalité et en une seule fois, de l'immeuble ainsi que l'indication du prix et des conditions de la vente pour le local qu'il occupe" ; il doit aussi établir un projet de règlement de copropriété et faire réaliser un diagnostic technique.
Difficile de prévoir l'effet de cette mesure qui a suscité la perplexité des professionnels : obligés de procéder comme pour une vente par appartements mais en proposant un prix pour chaque lot issu du "prix de gros" envisagé pour la vente "en bloc", les vendeurs vont probablement faire la vente à la découpe eux-mêmes, quitte à recourir à des agents immobiliers spécialisés réalisant ce type d'opérations pour le compte des institutionnels depuis plusieurs années, et ne vendront plus "en bloc" qu'à des investisseurs, achetant des patrimoines locatifs pour les conserver !
Consolation : la nouvelle loi accorde un sursis supplémentaire de deux ans à tous les locataires objets d'un congé pour vente de la part d'un bailleur institutionnel dans le cadre d'une vente par lots de plus de dix logements dans le même immeuble...
Cela ne suffit cependant pas pour pérenniser la situation des locataires voyant leur immeuble mis en vente, en tous cas pas vraiment d'avantage que par les mesures antérieures : loi de 1975 et accord collectif du 9 juin 1998 (3). Y compris avec l'accord collectif du 16 mars 2005, qui bien que non étendu par décret en raison de l'opposition des associations de locataires qui le trouvaient trop timoré, engage ses signataires bailleurs et en particulier Icade et tous les membres de la Fédération des sociétés d'économie mixte, de l'Association des propriétaires sociaux, de la Fédération française des sociétés immobilières et foncières et de la Fédération française des sociétés d'assurances (4).
A un "détail" près toutefois : la nouvelle loi prévoit aussi une extension du droit de préemption des maires, au delà des cas où ils en disposent déjà : ils pourront l'exercer dans tous les cas où il s'agit d'assurer le maintien dans les lieux des locataires. Réponse du berger à la bergère aux maires d'opposition, Paris en tête, qui avaient réclamé des mesures énergiques pour lutter contre la "catastrophe sociale" des ventes "à la découpe"...
(1) ADIL75 - Ventes à la découpe, bilan de l'ADIL75
(2) loi n° 2006-685 du 13 juin 2006 relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble
(3) Universimmo.com, 27/9/2005 Quand le propriétaire vend le logement loué...
(4) sur l'accord collectif du 16 mars 2005, Universimmo.com, 4/2/2005 Premier train de mesures pour réglementer les ventes à la découpe
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