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ACTUS
Les copropriétés et leurs salariés : des employeurs et des employés d'un autre âge ?
Le
3/7/2002
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Rémunérations au minimum, contrats irréguliers ou inexistants, astreinte quasi-permanente, logements de fonction indignes, voire harcèlements quotidiens : à part quelques avantages en nature, les gardiens et employés des copropriétés sont loin d'être des salariés comme les autres ! Au moment où un avenant à la convention collective, récemment étendu, interdit les astreintes de nuit pour les nouveaux embauchés, les limite pour ceux en place, et fixe comme objectif rien moins que leur suppression à compter de 2004, il n'est pas inutile de mesurer la distance qui reste à parcourir pour la grande majorité des copropriétés jusqu'à une gestion saine et modernisée de leur personnel...
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Idée reçue quasi généralisée : si les salariés des immeubles acceptent le sort qui leur est fait, c'est qu'ils y trouvent leur compte ! D'ailleurs, il n'y a qu'à voir comme les places sont chères ! Moyennant quoi, les copropriétaires les plus exigeants dans leur vie professionnelle quant à leurs propres conditions de travail et avantages acquis trouvent normales les rémunérations au minimum syndical, les horaires extensibles et les astreintes privatives de toute liberté personnelle, des conditions de logement exécrables et mille et un petits arrangements avec le droit du travail...
Revue de quelques unes des réalités quotidiennes de la vie des gardiens et employés d'immeuble :
Rémunérations
Elles sont de manière quasi-générale bloquées au minimum conventionnel ! Les syndics, alors qu'ils ont juridiquement, en tant que seuls titulaires de la responsabilité d'employeur, toute latitude pour fixer les salaires, ne disposent dans la pratique d'aucune marge de liberté, et lorsque les salariés bénéficient d'un salaire complémentaire contractuel au dessus du salaire conventionnel, ce n'est que par le jeu des mises en conformités de leur contrat intervenues lors des diverses modifications de la convention collective ; non seulement il ne vient à personne l'idée qu'un gardien ou un employé puisse être motivé par une augmentation personnelle comme les autres salariés et comme la plupart des copropriétaires eux-mêmes, mais - fait ô combien révélateur de la schizophrénie ambiante - une des grandes organisations de consommateurs spécialisée dans la copropriété stigmatise systématiquement comme une faute de gestion, lorsqu'elle assiste les copropriétaires dans les vérifications des comptes de leur syndic, toute augmentation de salaire non justifiée par une contrainte légale ou non autorisée par l'assemblée générale ! Comme i dans une entreprise, la direction ne pouvait accorder la moindre augmentation sans l'accord de l'assemblée des actionnaires...
Contrats
Les incursions dans les dossiers de salariés laissent en général pantois : peu de contrats résistent à un audit qualifié ! Contrats d'origine, avenants de mise en conformité lors des grandes modifications intervenues dans la convention collective, avenants de modification des tâches et horaires de travail : les irrégularités sont légion et font les délices des avocats aux prud'hommes... En cause : la complexité effrayante des règles applicables et la qualification très insuffisante des personnels qui rédigent contrats et avenants !
La pire situation est celle des emplois en CDD (contrats à durée déterminée), en général pour cause de remplacements : l'absence de contrat écrit est encore la règle, alors que, si le salarié décide d'en profiter, il peut alors se prévaloir d'un contrat à durée indéterminée, exiger un licenciement dans les règles et réclamer des indemnités pour licenciement abusif...
Travail en famille
Les conseils syndicaux et avec eux les syndics ferment très souvent les yeux sur l'exécution, au vu et au su de tout le monde, du contrat de travail par autre que son titulaire, au mépris inconscient des risques (personnels et collectifs) encourus du fait d'une infraction caractérisée à la législation du travail et d'une complicité de travail "au noir" ! Cas fréquent : le contrat est fait au nom de madame et c'est monsieur qui fait une partie du travail, ou vice-versa ! Autre cas tout aussi fréquent : en cas de sortie ou déplacement du titulaire, les astreintes et permanences sont assurés par un fils , une fille ou tout autre parent ou ami de la famille...
Fraude aux CDD
Elle est pratiquée à grande échelle à l'embauche d'un gardien ou d'un employé pour le mettre à l'essai : cette pratique, demandée par les conseils syndicaux, et à laquelle les syndics n'osent souvent pas dire non, quand ils ne la préconisent pas eux-mêmes, est totalement illégale - les contrats à durée déterminée sont limités aux remplacements d'un salarié absent ou aux cas d'un accroissement temporaire du travail ou de tâches exceptionnelles ou saisonnières - et exposent la copropriété à un risque de requalification du contrat en CDI (contrat à durée indéterminée) et le syndic dans certains cas à des sanctions pénales (outre sa responsabilité vis à vis du syndicat, même s'il a agi à la demande du conseil syndical, voire de l'assemblée...) !
Logements de fonction
Exiguïté, vétusté, manque de confort et de sécurité (fermetures, électricité, chauffage, gaz...), voire insalubrité sont le lot commun des "loges de concierge" ; le décret du 31 janvier 2002 sur le "logement décent" devrait permettre de corriger les anomalies les plus criantes et les plus indignes, avec toutefois un casse-tête non résolu : que faire si le logement fait moins de 9 m2 ou moins de 20 m3 ?...
Respect du repos dominical
C'est aussi un véritable casse-tête : le travail pendant le repos dominical est interdit, sauf dérogation préfectorale que personne ne demande pour les gardiens et employés d'immeuble ; pourtant, une entorse est souvent inévitable en raison des horaires locaux d'autorisation de sortie des poubelles et d'enlèvement des ordures ménagères ! Alors on s'arrange, avec les risques encourus...
Astreintes de nuit et permanences de dimanches et jours fériés
C'est l'obligation par contrat d'être présent à l'immeuble sans interruption toutes les soirées et nuits de semaine pour l'astreinte, et pendant le repos dominical et des jours fériés pour les permanences ; ces astreintes ne sont pas considérées comme du temps de travail et aucune tâche n'est prévue en dehors d'une situation d'urgence ! Le salarié - seuls ceux qui sont logés sont évidemment concernés - doit simplement être présent à son logement pour réagir à une alarme ou faire face à un incident. Elles donnent lieu à rémunération spécifique, qui indemnise la privation de liberté et non un travail (si le salarié est appelé à intervenir, le travail accompli doit alors être rémunéré en sus en heures supplémentaires ou en tâches occasionnelles) ; cette rémunération ne fait normalement pas partie de la rémunération contractuelle et peut être théoriquement supprimée si l'astreinte cesse...
Ces astreintes n'ont en fait de sens que s'il y a plusieurs salariés pour les assumer à tour de rôle : comment imaginer qu'un salarié puisse être consigné à domicile sans pouvoir sortir rien qu'une heure dans l'année ! Au demeurant, la convention collective le prévoit implicitement pour les astreintes de nuit (article 18-1) et explicitement pour les permanences (article 19), conformément aux articles L221-6 et L221-7 du Code du travail ! Or, d'innombrables immeubles appliquent ce type d'astreintes avec un seul salarié, sachant bien entendu qu'il ne restera pas cloîtré mais se fera remplacer subrepticement dans des conditions dont lui-seul a le secret...
C'est à cette situation absurde - d'autant plus surréaliste que les techniques de télésurveillance de chaufferies, d'ascenseurs, de pompes de relevage et de VMC sont non seulement au point mais nettement moins coûteuses que les indemnités versées aux salariés astreints - à laquelle les partenaires sociaux ont entrepris de remédier avec l'avenant n°54 de la convention collective, qui prévoit la suppression progressive de l'astreinte de nuit (avenant du 24 octobre 2001 étendu le 5 mai 2002) : l'astreinte de nuit est dorénavant interdite pour les salariés à service partiel, et pour les nouveaux contrats à compter du 1er janvier 2003 ; pour les autres salariés en place ou recrutés jusqu'au 31 décembre 2002, elle est limitée à 11 heures. L'avenant indique aussi que,"d'ici au 1er janvier 2004, les employeurs et les salariés feront le point sur la suppression de cette astreinte de nuit concernant les contrats de travail en cours"...
Il est vrai que les plus farouches opposants à cette suppression risquent d'être les intéressés, qui trouvent dans les indemnités d'astreinte et de permanences de dimanches et jours fériés un complément de rémunération appréciable et un appoint utile à leur épargne...
Autoremplacements
Ils sont en général demandés par les gardiens eux-mêmes qui rechignent à laisser leur logement à un remplaçant, ou voient dans le fait de se remplacer eux-même un moyen de se faire un 14ème mois et demi, en plus du paiement de leurs congés payés, pratique en fait contraire à la législation du travail...
Interventions intempestives, remarques sur le travail, harcèlements
Le fait de participer directement - et non au travers de la facturation d'une prestation - au coût du personnel de la copropriété fait croire aux copropriétaires et a fortiori aux conseillers syndicaux, qu'ils ont un droit de supervision sur les salariés : remarques désobligeantes sur le travail effectué, dérangement pour des broutilles et même pour des problèmes personnels pendant les plages de repos, voire insultes s'ils ont le mauvais goût de se "rebiffer", sont leur lot quotidien, alors que le seul lien de subordination impliqué par leur situation d'employés du syndicat est avec la direction et les services de gestion du syndic ! Il y a fort à parier que les dispositions de la loi du 17 janvier 2002 dite "de modernisation sociale" sur le harcèlement moral trouveront un champ d'application fertile dans les copropriétés...
Inutile de mentionner l'absence totale d'actions de formation, voire de soutien psychologique, qui seraient pourtant si utiles eu égard à la complexité croissante du contexte dans lequel évoluent désormais ces personnels : technicité de la conception des bâtiments, des matériaux et des équipements, exigences de sécurité voire psychoses sécuritaires, et aussi situations inconnues précédemment, et de plus en plus fréquentes, requérant des qualités comportementales et relationnelles particulières : tensions communautaires ou ethniques, incivilités, problèmes de voisinage, etc...
Il est vrai également, pour être tout à fait objectifs, que nombre d'employés savent magistralement profiter des possibilités de gains annexes procurées par leur position (étrennes, petits travaux, arrosages, récupérations, voire pour les bailleurs locations et état des lieux...), et profiter aussi de la faiblesse ou des dissensions internes des copropriétaires, ainsi que de l'absence du syndic voire de la défiance qu'il suscite dans la copropriété pour régner en maîtres, "tirer au flanc" de manière éhontée et ostentatoire, et manipuler les uns et les autres au point de voir - le cas n'est pas rare - des conseillers syndicaux venir les soutenir aux prud'hommes contre le syndicat des copropriétaires dont ils sont pourtant censés défendre les intérêts...
Décidément, personne n'est parfait !
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