Une absence quasi-totale de programmation des gros travaux
Ce qui paraîtrait impensable dans toute autre entité ou collectivité, en charge de l'entretien d'un patrimoine immobilier, semble normal à l'immense majorité des copropriétaires : découvrir les travaux à effectuer au fur et à mesure qu'ils deviennent inévitables, devoir avancer les fonds au dernier moment, en un ou, tout au plus, deux trimestres, sans programmation d'ensemble, sans claire vision des priorités, sans constitution de réserves de trésorerie au fur et à mesure de la vétusté, est le lot commun de presque toutes les copropriétés.
Très rares sont en effet les copropriétés qui font usage de la faculté, qui leur a été créée en 2004, de voter la réalisation d'un plan pluriannuel de travaux, fondé sur un diagnostic exhaustif des composants de l'immeuble (gros oeuvre, façades, couverture et étanchéité, réseaux, assainissement, ascenseurs, installation de chauffage et de production d'eau chaude, sécurité incendie, etc.), et de constituer une réserve de trésorerie fondée sur une valorisation prévisionnelle des différents postes de travaux, permettant de les financer sans plus avoir à solliciter les copropriétaires qu'à la marge... Cette disposition est passée inaperçue, et les syndics qui s'essayent dans cette voie se heurtent la plupart du temps à la méfiance des conseils syndicaux qui n'aiment pas trop qu'on pense à leur place.
Les copropriétaires sont de moins en moins enclins à une vision patrimoniale de long terme : les bailleurs préfèrent être sollicités le moins possible et une part croissante des copropriétaires résidants n'envisagent leur présence dans leur copropriété que pour quelques années, en attendant mieux...
Certes, les syndics doivent continuer à proposer tous les trois ans la constitution de provisions dites de l'article 18, les "provisions spéciales en vue de faire face aux travaux d'entretien ou de conservation des parties communes et des éléments d'équipement commun, susceptibles d'être nécessaires dans les trois années à échoir et non encore décidés par l'assemblée générale".
Dire qu'ils le font en vain serait inexact, mais lorsqu'une provision de ce type, en général appelée "fonds de prévoyance", est décidée (dans pas plus de quelques pour cent des immeubles, et encore...), les réserves constituées le sont la plupart du temps sans référence à des travaux précis, pour des sommes ne représentant qu'une part minime des travaux à prévoir, et en tous cas sans diagnostic de l'immeuble et sans vision précise à moyen et long terme de l'entretien lourd et des adaptations nécessaires du patrimoine. Résultat, les immeubles sont gérés sans connaissance précise de leur état et sans horizon prévisionnel au delà d'un ou deux ans !
Les copropriétaires qui ne font pas partie des initiés du conseil syndical ne découvrent dans la pratique les sommes - souvent importantes - qu'ils vont devoir avancer que lorsque les travaux sont inscrits à l'ordre du jour de l'assemblée générale, et qu'ils doivent les payer avec un préavis de quelques mois seulement. L'idée selon laquelle, en tant que propriétaires, ils devraient savoir qu'un immeuble demande de l'entretien, et donc mettre de l'argent de côté en temps utile, est totalement illusoire ! Non spécialistes du bâtiment, ils ne peuvent prévoir ni l'ampleur, ni la nature et la multiplicité des travaux que nécessite la conservation d'un immeuble.
Par ailleurs, les copropriétaires ne sont plus les épargnants prévoyants qu'ils étaient jadis : il y a belle lurette que la copropriété s'est démocratisée, et qu'aujourd'hui, les acquéreurs aidés sont endettés jusqu'au cou, et avec un pouvoir d'achat qui s'étiole, arrivent à peine à faire face au provisions courantes...
Passe encore pour le ravalement qu'on voit venir, et qui valorise l'immeuble de manière visible ; mais faire sortir en un ou deux appels 3 à 5.000 euros par copropriétaire pour des travaux à caractère plus technique, comme la sécurisation de l'ascenseur ou la réfection de réseaux devient de plus en plus difficile, et relève pour les syndics dans beaucoup d'immeubles de la mission à hauts risques : une aventure qu'on commence sans savoir comment on va pouvoir la terminer...
D'autant qu'il ne peut être question, comme le préconisent certains, d'attendre avant de commencer les travaux d'avoir réuni la totalité de la somme nécessaire : les copropriétaires acceptent rarement de payer un deuxième, voire un troisième appel avant que le chantier ne soit effectivement commencé. Pourtant le syndic engage sa responsabilité à l'égard des entreprises auxquelles il commande les prestations, et se doit de s'assurer au préalable de sa capacité à honorer les factures en temps et en heure comme le prévoient les marchés !
Seule solution : proposer des "crédits copropriété" pour ceux qui ne sont pas sûrs de pouvoir honorer les appels de fonds ; couverts par un contrat d'assurance contre les impayés et accordées sans demande d'aucune garantie ni condition autre que celle d'être à jour de ses charges, plus chers que les crédits pour travaux proposés par les établissements financiers, ils sont souvent le seul type de crédit accessible à ceux en délicatesse avec leur banque. Encore faut-il constater que les syndics ne pensent pas à les proposer systématiquement, de même que les subventions et prêts dont peuvent bénéficier les copropriétaires en fonction de leur statut d'occupant ou de bailleur, leurs ressources et leur situation de la part de l'ANAH, des collectivités locales ou régionales, du 1%, du FSL, etc.
Pas étonnant dans ces conditions que la qualité de l'entretien des immeubles en copropriété régresse au regard de celle du parc locatif, et notamment du parc social, et qu'un nombre croissant d'immeubles tombent dans la spirale infernale du défaut d'entretien, de la dévalorisation et de la paupérisation, gangrène des centres urbains anciens et des banlieues populaires !
Des logements valorisés sans référence aux travaux futurs
Toutefois la pire des conséquences de la situation actuelle d'absence de visibilité sur les travaux futurs nécessaires à l'immeuble porte sur la valorisation des logements dans les transactions de vente. En effet, les immeubles sont des biens de longue durée, nécessitant périodiquement des travaux lourds, aisément programmables et de coût prévisible ; ne pas en tenir compte revient à rendre la fixation du prix aléatoire, et force est de constater qu'aujourd'hui, le prix du m2 d'appartement ne tient compte que des travaux visibles, réalisés ou à venir, mais en aucun cas de ceux touchant aux composants cachés de l'immeuble, ou à la performance énergétique ! L'affichage de charges modérées en l'absence d'information quant aux charges de travaux lourds susceptibles de tomber dans les 5 ou 10 ans suivant l'achat peut s'apparenter à de la tromperie, et en tous cas occulte le véritable coût d'entretien de l'immeuble dans lequel l'acquéreur s'engage, alors qu'il s'endette souvent pour plus de vingt ans !
Deux méthodes existent pour une fixation du juste prix :
- celle retenue par exemple habituellement pour l'établissement du prix d'un avion vendu d'occasion, qui tient compte du temps restant à courir et du coût de la prochaine "grande visite" et du potentiel restant des moteurs avant leur nécessaire remplacement ; ainsi le même avion cotera différemment s'il est vendu juste avant ou juste après une grande visite, la différence étant alors le coût prévisionnel de cette dernière ; le même décotera de la moitié de ce coût s'il est vendu à mi-durée entre deux grandes visites...
- celle retenue pour l'établissement du prix des parts d'une société immobilière, qui tient compte des provisions constituées au titre des immeubles détenus sur plans pluriannuels de travaux pour les travaux à venir (provisions pour charges futures) ; ainsi le prix d'un immeuble pris en compte dans les actifs de la société avant travaux le sera pour un prix incluant le montant de ces travaux, les provisions restant bien entendu dans la société après la vente des parts...
Ces deux méthodes supposent néanmoins de disposer d'un plan pluriannuel de travaux valorisé ; la seconde suppose en outre que les travaux soient intégralement provisionnés suivant les valorisations de ce plan. A défaut, la valorisation s'effectue à l'aveugle, l'acquéreur étant exposé à toutes les mauvaises surprises, ne disposant d'aucun document donnant le montant estimatif et le calendrier des travaux auxquels il aura à participer !
Le défi redoutable de la performance énergétique
Or ceux-ci sont appeler à devenir de plus en plus lourds, notamment pour le parc immobilier antérieur aux années 1980 : vieillissement du bâti, des réseaux et des équipements, mises aux normes réglementaires (ascenseurs, mais aussi bientôt réseaux d'alimentation en eau, qualité de l'air intérieur, sécurité incendie, etc.), et travaux d'économie d'énergie et de "développement durable" ; ces derniers vont rapidement prendre le pas, devant la nécessité de contenir la facture énergétique, que viendront alourdir l'inévitable hausse des coûts de l'énergie et la fiscalité environnementale (taxe carbone) !
Si une partie des travaux pourra être - très partiellement - financée par les aides publiques actuelles (ADEME, ANAH, Fonds Chaleur) ou à venir (certificats d'économie d'énergie ?), et une autre par des Eco-prêts à taux zéro (Eco-PTZ) individuels (existants) ou collectifs (réclamés par les acteurs du Grenelle), qui feront office d'avance sur les économies à venir au niveau de la facture de chauffage, tous les travaux nécessaires ne seront pas couverts.
Le projet de loi Grenelle II, dans sa première mouture adoptée par le Sénat, prévoit l’obligation pour tous les propriétaires ou gestionnaires de bâtiments équipés d'une installation collective de chauffage ou de refroidissement de réaliser dans un délai de cinq ans à compter de la publication de la loi un diagnostic de performance énergétique (DPE) global pour l'immeuble (actuellement le DPE n'est obligatoire que logement par logement à l'occasion des ventes ou des locations) ; les syndics de copropriétés comportant de tels immeubles devront dans la foulée inscrire à l'ordre du jour de l'assemblée des copropriétaires la question d'un "plan de travaux d'économies d'énergie" ("Eco-plan"), ou d'un "contrat de performance énergétique" (CPE) à conclure avec un opérateur approprié.
Dans les immeubles d'avant 1990, ces étapes conduiront nécessairement à des travaux d'importance, d'autant plus lourds que les immeubles sont anciens : modernisation de l'installation de chauffage et de production d'eau chaude, avec recours à des énergies renouvelables, travaux d'isolation des façades, toitures et fenêtres, etc. Les copropriétaires y seront poussés à la fois par les mesures incitatives - crédit d'impôt, Eco-PTZ, possibilité pour les bailleurs de faire participer les locataires sous forme de partage du gain de charges - et par la nécessité d'économiser sur une facture d'énergie de plus en plus lourde. C'est en tous cas le pari du gouvernement et on peut aisément prévoir qu'il fera tout pour le gagner...
Et ce ne sera pas un luxe : avec l'affichage obligatoire à compter de 2011 du diagnostic de performance énergétique dans les annonces relatives aux ventes et aux locations, le prix du m2 dans les immeubles "passoires" se dévalorisera rapidement !
Au sortir d'une crise économique sans précédent, les copropriétaires déjà fortement sollicités pourront-ils faire face aux investissements nécessaires ? Un consensus se forme entre associations de copropriétaires et syndics pour envisager la systématisation de la constitution, à l'avance et dans des conditions favorables aux copropriétaires, de provisions permettant de financer ces travaux, voire même l'ensemble des travaux nécessaires à l'entretien lourd des immeubles.
Naissance d'un consensus syndics-associations de consommateurs pour des fonds de travaux obligatoires
Il s'agirait, sur la base des estimations de travaux d'un "Eco-plan" ou d'un plan pluriannuel de travaux plus large, de constituer progressivement une réserve financière qui permette le moment venu de financer la plus grande part du coût des travaux restant incomber aux copropriétaires une fois déduites les aides et financements divers obtenus.
Et puisque les copropriétaires sont réticents à voter spontanément ce type de provisions, une partie d'entre elles au moins - les fonds de réserve pour les travaux d'économie d'énergie - seraient rendues obligatoires, à l'instar de ce qui a été mis en place par exemple au Québec et aux Pays Bas. La principale association de consommateurs spécialisée dans la copropriété, l'ARC (Association des responsables de copropriété), milite ouvertement pour une telle mesure, réclamée également par la FNAIM (Fédération nationale de l'immobilier), et qui recueille également l'assentiment de l'autre grande organisation de syndics, l'UNIS (née de la fusion de la CNAB, du CSAB et de l'UNIT).
Curieusement, les syndics sont plus timides que l'ARC et s'en tiennent dans leurs préconisations à des montants modestes, 5% du budget des charges courantes (environ 100 euros par an), soit quelques pour cent des travaux à entreprendre, et donc très faibles par rapport aux montants nécessaires pour obtenir les performances thermiques souhaitées. De tels fonds peuvent juste commencer à préparer les copropriétaires à l’idée de financer les travaux de rénovation thermique et de les entreprendre mais leur faiblesse ne permettra pas d’aller plus loin et ne peut jouer qu’à la marge...
Dans tous les cas, des aménagements à la législation de la copropriété et peut-être au Code monétaire et financier seraient nécessaires pour :
- garantir une non-fongibilité des fonds ainsi collectés avec ceux appelés pour la gestion courante des immeubles,
- défiscaliser le placement de ces fonds ne serait-ce que pour des raisons purement pratiques (le respect des règles de déclaration des produits financiers entraînent un coût administratif disproportionné par rapport au rendement fiscal de l'imposition en application du droit commun...),
- sortir le cas échéant ces fonds du champ de la couverture par la garantie financière des syndics, ce qui éviterait une augmentation du coût de cette garantie pour le professionnel et par répercussion aux copropriétaires, en les faisant déposer sur des comptes bancaires réglementés, en quelque sorte "sanctuarisés, et d'où les retraits seraient contrôlés pour s'assurer de leur emploi dans l'objectif pour lequel ils ont été collectés...
- faire en sorte que les fonds constitués sur plan pluriannuel de travaux ne soient plus considérés comme des avances remboursables aux copropriétaires vendeurs, et qu'ils soient acquis à la copropriété ; bien entendu, les copropriétaires vendant leur logement intégreraient leur quote-part de ces provisions dans leur prix de vente, puisque c'est autant que les acquéreurs n'auraient pas à avancer pour la réalisation des travaux, et on peut imaginer qu'en contrepartie cette part du prix soit exclue des droits de mutation...
Cela revient-il à obliger les copropriétaires à une épargne forcée ? Ceux qui font cette critique, et qui comparent la situation des copropriétaires avec celle des propriétaires de maisons individuelles, oublient que la constitution de provisions pour charges et travaux futurs prévisibles est une règle de saine gestion uniformément admise dans la comptabilité des entreprises (et des sociétés immobilières en particulier), et que la réforme des comptes des syndicats des copropriétaires mise en place à partir de 2007, alors qu'elle a, sous réserve des adaptations nécessaires, étendu aux copropriétés les principes de la comptabilité des entreprises et des associations, et instauré en particulier les dotations obligatoires aux provisions pour dépréciation de créances douteuses, aurait très bien pu aussi instaurer celles pour "risques et charges" : c'est ce mécanisme comptable de droit commun qui fait aux sociétés immobilières obligation de constituer des provisions pour l'ensemble des travaux d'entretien prévisibles sur les bâtiments (hormis ceux qui peuvent être considérés comme des investissements et qui donnent lieu à dotations aux amortissements, ce qui revient au même...).
Contrairement aux arguments juridiques avancés alors par ceux qui continuent de voir la copropriété comme une simple indivision, le fait que les rédacteurs de la réforme se soient arrêtés en chemin et ouvert simplement la voie à la constitution de réserves facultatives relève surtout de la crainte du tollé qu'aurait soulevé chez les copropriétaires une charge supplémentaire, et une obligation qui serait passée pour de l' "épargne forcée".
Le provisionnement obligatoire : une mesure favorable aux copropriétaires les plus modestes !
Or ceux qui, pour s'opposer à la constitution à l'avance de fonds destinés à financer les travaux futurs, prétendent que l'argent est mieux dans la poche des copropriétaires que dans celle du syndic méconnaissent deux réalités importantes :
- d'une part les fonds travaux sont constitués pour le compte de la collectivité des copropriétaires ; il suffit que ceux-ci le demandent pour qu'ils soient déposés sur un compte au nom du syndicat et placés à son profit et non à celui du syndic ;
- d'autre part, ceux qui bénéficient le plus de ce type de raisonnement sont ceux qui disposent de liquidités et n'ont pas de difficultés à faire face à des demandes de paiement sous faible préavis ! Les autres, maintenus longtemps dans l'ignorance du coût réel d'entretien de leur immeuble, sont mis en difficulté lorsqu'au pied du mur ils doivent faire face à des appels de fonds aussi lourds qu'imprévus !
En fait, ne pas provisionner les travaux n'empêche pas de devoir les payer un jour ! Comme le note très bien une note consensuelle du "Chantier copropriétés" du Plan bâtiment Grenelle, qui réunit entre autres acteurs, syndics et représentants des copropriétaires, "la programmation prévisionnelle des travaux exceptionnels et la mise en place de provisions est le meilleur moyen d’aider les copropriétaires modestes (un programme de travaux bien préparé revient moins cher ; les provisions facilitent les décisions de travaux et leurs financements, donc aident les plus modestes). A contrario l’absence de prévisibilité et de provisions expliquent le phénomène des copropriétés en difficulté qui aggravent les problèmes des ménages modestes".
Par ailleurs, devant l'ampleur des travaux à financer, les difficultés des copropriétaires les plus modestes - ceux qu'on a peut-être trop facilement incités à devenir propriétaires ? - devront tôt ou tard, et provisions obligatoires ou non, être prises en compte au moyen d'aides appropriées. Pourquoi ne pas imaginer par exemple une extension aux provisions pour travaux de l'allocation de logement existant actuellement pour les remboursements d'emprunt, ou pour les personnes âgées des aides spécifiques récupérables sur les héritiers dans le cadre de la succession ?
Quoi qu'il en soit, la France, qui aime se savoir pionnière en matière de copropriété, ne peut ignorer que - les mêmes causes produisant les mêmes effets - plusieurs pays comme les Pays-Bas, l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, l’Autriche, ou le Québec ont institué les fonds de travaux obligatoires sans que l'on crie à l'atteinte au droit de propriété...
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