100.000 copropriétés en état de fragilité ?
Les copropriétés en France sont en danger ! Il y a celles qui le savent, et qui se soignent, et celles qui, tels les clients du Docteur Knock, sont des malades qui s’ignorent. Les copropriétés « en difficulté », en banlieue ou dans les quartiers anciens en centre-ville, sous traitement lourd de plan de sauvegarde ou d’OPAH « copropriétés dégradées », ne sont en effet que la partie émergée de l’iceberg : parmi les autres, rares sont celles qui font réellement ce qu’il faut pour maintenir sur la durée la valeur du patrimoine de leurs copropriétaires, et le sentiment d’enrichissement qu’a pu produire la hausse effrénée des prix de l’immobilier dans les quarante dernières années agit comme un anesthésiant par rapport à la lente dévalorisation des immeubles, en retard dans leur entretien, et dans leur adaptation à leur marché.
Car un immeuble est un produit comme un autre : il perd de sa valeur lorsqu’il se dégrade, mais également s’il se compare de plus en plus défavorablement aux produits concurrents, par son « look », ses charges, ou encore son insuffisante réponse aux besoins de confort ou de sécurité du client potentiel, susceptible d’acheter ou de chercher une location dans le secteur où il est situé. La facture énergétique, qui n’est qu’un des éléments de comparaison, mais qui ne pourra que s’alourdir, accentuera le phénomène, notamment en province où une construction abondante d’immeubles performants vient concurrencer de plein fouet les immeubles plus anciens et moins attractifs. Les bailleurs d’une ville comme Dijon en savent quelque chose...
Et s’il est vrai qu’on ne propose pas les mêmes prestations à Neuilly sur Marne (94) et à Neuilly sur Seine (92) - pardon aux lecteurs de province qui ne verraient pas la subtilité de la comparaison -, dans les deux cas la dévalorisation d’une copropriété a un effet insidieux, car elle change progressivement la sociologie de l’immeuble, augmente petit à petit la proportion de bailleurs par rapport à celle des propriétaires résidants, amène des copropriétaires moins aisés, qui seront moins enclins à investir dans la maintenance et encore moins dans la valorisation du patrimoine.
Ainsi, peu visibles au départ, les effets de ce cercle vicieux s’accentuent avec le temps, jusqu’à l’apparition des premiers symptômes du "mal" des copropriétés : développement des impayés, dissensions et incapacité croissante de prendre des décisions, votes de travaux repoussés, prestations de moins en moins bien assurées et multiplication des dégradations, baisse des prix et des loyers, jusqu’à la première arrivée de "marchands de sommeil", signe que la spirale inexorable de la "copropriété en difficulté" est enclenchée, dont on connaît malheureusement la suite.
L’ANAH estime en 2011 à 100.000 le nombre de copropriétés potentiellement fragiles en France, sur un total de 560.000 copropriétés. Depuis 2006, de nombreuses copropriétés entrent chaque année dans le dispositif des plans de sauvegarde. Et 27% des propriétaires bailleurs ou occupants sont dans les strates les plus pauvres de la société. Ce qui fait dire au sénateur Dominique Braye, son président, chargé par le gouvernement d’une mission spéciale sur les copropriétés, que "le problème est devant nous" ! Pas de doute, la prise de conscience fait son chemin...
Un déficit d'entretien qui se creuse
Pourquoi ce déficit d’entretien, qui fait année après année des immeubles en copropriété un parc immobilier moins bien entretenu que celui des bailleurs sociaux et voue probablement à la ruine bon nombre d’ensembles immobiliers montrant déjà des signes de perte de valeur ?
Consultants en copropriété venus du "monde extérieur", Cécile Barnasson et Pierre Olivier ont, dans un ouvrage intitulé sans détours "Sauvons les copropriétés" (1), mis à plat les fonctionnements pervers qui l’expliquent. Y contribue d’abord la diversité des copropriétaires et de leurs motivations : quoi de commun entre des résidants à long terme, des copropriétaires de passage pour quelques années en attendant de s’offrir mieux, des "primo-accédants" surendettés, des propriétaires loueurs de logements, des investisseurs ou des exploitants de locaux commerciaux en pied d’immeuble, des propriétaires de bureaux ou de locaux d’activité, etc. Comment dans une même copropriété concilier leurs intérêts apparemment contradictoires ?
Autre cause probablement primordiale : le trop d’ "esprit propriétaire" et l’insuffisance d’ "esprit CO-propriétaire" : l’acquéreur en copropriété achète d’abord un appartement, pas une part de copropriété. Il arrive dans une collectivité sans la connaître, en s’informant a minima, comme s’il entrait à reculons. Puis une fois dedans, tout l’indispose : les charges, en général insuffisamment anticipées, les assemblées, les bisbilles entre clans de copropriétaires, les « copinages » avec le gardien ou avec le syndic. Quand arrive la perspective de travaux, forcément imprévus en l’absence quasi généralisée de programmation pluriannuelle, alors tout est bon pour y échapper : discussions interminables, pinaillage, contestations, etc.. Non informé à l’achat sur le véritable coût de l’entretien à long terme de l’immeuble - le raisonnement en « coût global » semble curieusement étranger à l’immobilier résidentiel -, le copropriétaire ne se sent pas concerné par la préoccupation de sa conservation et son adaptation sur la durée : soit il n’envisage pas d’horizon de revente et alors la valorisation lui est indifférente, soit au contraire il prévoit de prendre sa plus-value prochainement pour acheter autre chose, et celle-ci lui suffit : quel intérêt de dépenser encore pour que les autres en profitent plus tard ?
Résultat : chacun ne voit que son intérêt personnel, défend son pré-carré, et ne s’intéresse à la collectivité que le nez sur la dernière ligne de son décompte individuel de charges...
"Professionnaliser" la gestion des immeubles ?
Rien ne serait pareil, comme le montrent avec limpidité les auteurs de "Sauvons les copropriétés", si en vendant des logements dans des immeubles à propriété collective, on annonçait la couleur dès le départ, et qu’au lieu de cette illusion de propriété qu’offre le principe de la copropriété à la française, on proposait des parts de sociétés du type "société d’attribution", propriétaires des immeubles et mettant en œuvre, sous la responsabilité de leurs copropriétaires-actionnaires, tous les moyens d’une gestion sérieuse du patrimoine commun, selon les mêmes normes professionnelles, techniques et comptables, que les autres sociétés immobilières. Cela se pratique par exemple en Australie ou en Angleterre...
Car le manque de professionnalisme est malheureusement la marque de fabrique de la copropriété : connaissance très superficielle de l’immeuble, ignorance faute d’audits et diagnostics sérieux des pathologies souvent graves dont peuvent souffrir les immeubles anciens ou peuvent surgir du fait de travaux inappropriés, gestion au jour le jour, absence de provisionnement des dépenses futures prévisibles, fuite des copropriétaires devant leurs responsabilités quant au financement de la gestion et des imprévus : travaux mais aussi impayés, litiges et autres accidents de la vie d’une collectivité.
Certes, les nouvelles règles de comptabilité, entrées en vigueur en 2007, constituent un progrès considérable, mais les rédacteurs des textes se sont arrêtés malheureusement en chemin, notamment sur l’anticipation des dépenses futures (provisions pour "risques et charges" et provisions pour "grosses réparations"), pensant probablement que les copropriétaires n’étaient pas capables de comprendre ce qui est pourtant le "b a ba" de la comptabilité hors copropriété. Entendre la Chancellerie objecter que l’obligation de provisionner les "grosses réparations" constituerait une « épargne forcée », contraire au droit de la propriété, est proprement atterrant, car c’est ignorer le sens de l’obligation à laquelle sont soumis les autres propriétaires d’immeubles : la dotation aux provisions enregistrée chaque année est là pour prendre en compte dans les charges de l’exercice le vieillissement de l’immeuble et la vétusté croissante de ses composants, et ne pas faire supporter par les propriétaires futurs les travaux de réparation lorsqu’ils deviendront nécessaires ! Autant défendre la liberté des propriétaires de reporter sur leurs successeurs la charge de l’entretien devenu nécessaire de leur temps, ou de laisser purement et simplement ruiner leur bien...
Si les syndics professionnels ont une part de responsabilité dans cette situation, elle est loin d’être prépondérante quelles que soient les critiques qui puissent leur être adressées quant à la qualité de leur gestion : la gestion des achats, le suivi opérationnel, l’anticipation financière : ils ont malheureusement les mains liées sur l’essentiel, et ils en sont aussi assez largement les victimes, cible expiatoire commode d’un système déresponsabilisant, dans lequel on a laissé, par les excès de la politique du "tous propriétaires" et l’argent facile permis par l’effondrement depuis 15 ans des taux d’intérêt, s’engouffrer des millions d’accédants, sans les prévenir des véritables implications de leur acquisition ni des charges qu’ils encourraient sur la durée de la détention de leur bien.
(1) Cécile Barnasson et Pierre Olivier : "Sauvons les copropriétés : ce qu'il faut changer" - JYB éditeur
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Commentaire posté par
vauvelle
, le
1/4/2014 à 07h13 Pas du tout d'accord avec ce diagonstic et surtout avec les préconisations.
Le mal des copropriétés est aussi extérieur à la copro,jes maires, les préfets et les syndics sont les premiers responsables de la situation.
Savez-vous que les copro en Ile de France paie l'eau 22,45%plus chère qu'en pavillon, savez-vous que les valeurs cadastrales des copro sont supérieures à des pavillons mieux équipés, savez-vous que la copro est exposé à la loi sur la mixité, savez-vous que des associations comme l'arc trompent leur adhérents et préconisent des propositions qui vont à l'encontre de l'intérêt des copro. Voila une partie de la vrai situation des copros. Personnellement je suis responsable d'une copro en très bonne santé, tout cela se fait en luttant contre toutes les lois qui pénalisent la copro, en étant actif auprès des élus en dénonçant l'ingérence des préfets. Oui, il y a des copros en danger, pour les sauver il faut d'abord redonner le pouvoir à la copropriété qui devrait fonctionner comme une communauté qui fonctionnerait avec ces propres lois.
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Commentaire posté par
Jcfrombdx
, le
2/11/2011 à 12h07 La copropriété n'est pas en danger, c'est faux. Le vieillissement du parc immobilier est une évidence. Certaines copropriétés réussissent très bien à mettre à niveau leurs bâtiments contrairement à d'autres. Pour autant, est il nécessaire d'envisager une nouvelle règlementation contraignante alors que les dispositions en vigueur permettent déjà de régler ces situations ? Un toilettage des textes est sans doute nécessaire, mais c'est aux copropriétaires qu'il appartient de se prendre en mains, avec l'assistance de leur syndic, et l'aide de professionnels qu'ils se sont choisis. Aucun dispositif contraignant ne vient à bout de l'égoisme.
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Commentaire posté par
Mantelet
, le
16/10/2011 à 17h36 Approbation quasi-complète de ce diagnostic, tant pour le "tous propriétaires", que pour le défaut généralisé de professionnalisme, le régime comptable à compléter, le mépris pour la gestion prévisionnelle, etc... Il faudrait y ajouter les rustines législatives issues d'amendements mal rédigés.
Une appréciation objective de la responsabilité des syndics. A noter de plus sur ce point les insuffisances manifestes de la formation à cette activité de haut niveau.
Mais on ne saurait présenter la conception anglo-saxonne de la jouissance collective comme une bouée de sauvetage. Notre conception de la copropriété est parfaitement compatible avec une gestion juridique, administrative et technique correcte. Les pouvoirs publics ont une large responsabilité dans le marasme actuel. Préparer un arrêté ou un décret avec 500 plaintes de copropriétaires dont 50 % au moins sont infondées, ce n'est pas une bonne méthode de travail.
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Commentaire posté par
La rédaction Universimmo
, le
16/10/2011 à 13h20 C'est un peu la thèse de l'ouvrage cité dans cet article...
En fait de nombreux milieux y travaillent, tels par exemple l'association Planète Copropriété, qui a "décroché" trois des douze projets de recherche attribués par le PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture) du ministère du logement dont deux sont dans le sujet...
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Commentaire posté par
L.LACHAUME
, le
16/10/2011 à 11h06 Monsieur PAPADOPOULOS,
Je pense que le point le plus important de la mauvaise gestion de beaucoup de copropriété,provient avant tout par des textes inadaptés et trés souvent inaplicables réalisés par des personnes qui connaîssent tés mal les problémes quotidiens des copropriétés. Si on pouvait envancer sur ce point on pourrait rendre les syndics plus professionnels et les copropriétaires plus responsables. C'est un long débat!!
Bien cordialement
L.LACHAUME
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