On
ne peut nier qu'il y ait un peu d'idéologie
dans tout cela, et que les acteurs du logement,
à la sensibilité libérale,
aient le sentiment naturel que la majorité
actuelle menace la liberté d'entreprendre
et d'investir. A ceux-là, je dis que le
manichéisme politique n'est pas de saison
: naguère encore, une majorité d'inspiration
libérale a pris aussi quelques malheureuses
décisions à l'encontre du marché
immobilier.
En
revanche, le Gouvernement me semble à deux
titres prêter le flanc et appeler ces appréciations
défavorables. D'abord, sans doute, par
des mesures très critiquables à
l'aune de l'impératif de dynamisation du
marché, de reconstruction de la confiance
ou encore de simplification. Pour autant, c'est
dans l'ordre de la communication que j'identifie
les plus gros écueils, et conformément
à mon observation liminaire, je ne prétends
pas que les précédents Gouvernements
n'aient pas pêché à l'identique
: je me contente de juger la réalité
actuelle et les menaces qu'elle fait peser sur
les ménages et sur le logement.
La
première erreur consiste à stigmatiser
et à cliver. Trop d'interventions de la
ministre de l'égalité des territoires
et du logement ou de ses collègues, du
Premier ministre même, ont donné
le sentiment que les professionnels de l'immobilier
et surtout les propriétaires, mis pêle-mêle
dans le même sac, étaient à
l'origine de la crise du logement et de tous les
dérèglements. La maladresse est-elle
seule en cause ? S'est-il agi d'assimiler les
abus, indéniables, dans notre domaine comme
dans les autres, à la totalité des
comportements ? Par rusticité ? Par méconnaissance
du détail de la réalité?
S'est-il agi de tordre les propos pour plaire
à une partie de l'électorat? Peu
importe au fond, mais le résultat est là,
ce sentiment confus, lorsqu'on est promoteur,
agent immobilier, propriétaire particulier
ou institutionnel, qu'on est porteur de tous les
maux et de toutes les responsabilités.
De
toute façon, chacun sait que la complexité
des marchés du logement interdit la caricature.
Tous les acteurs ont une part de responsabilité,
et aussi ceux qu'on met au-dessus du jeu, alors
qu'ils y participent. Au premier chef, l'Etat
et les collectivités locales, à
l'origine de l'inflation des prix du logement
avec des charges foncières qu'elles cèdent
aux professionnels par le biais de consultations
où le premier critère, même
s'il n'est jamais avoué, est le prix du
foncier. Mais également l'Europe qui, avec
sa tendance à sur-règlementer sous
couvert de vouloir déréguler le
système financier international, et ses
impératifs prudentiels, pénalise
la distribution du crédit depuis des mois.
Bref, il importe que les interventions de nos
dirigeants ne désignent pas des boucs-émissaires
à bon compte. D'autant qu'en économie,
les discours sont performatifs, pour utiliser
une expression de sémiologue : ils créent
la réalité. L'opinion finira par
céder elle-même à la facilité
de trouver des coupables, et on aura coupé
le pays en deux, sans rien résoudre.
La
seconde erreur est d'une tout autre nature : elle
consiste à parler avant d'agir, et à
présenter une décision politique
comme acquise, alors qu'elle n'est inscrite dans
aucun texte et loin d'être applicable. Ce
Gouvernement commet à cet égard
la faute de tous ceux avant lui, avec cette nuance
que la situation économique est telle qu'on
ne peut plus s'offrir le luxe de l'effet déceptif,
qui bloque les intentions des ménages.
Le préjudice peut être aussi lourd
sur les sujets civils que sur les questions fiscales
et financières : annoncer une modification
du droit de l'urbanisme qui n'est pas utilisable
est aussi dangereux qu'informer d'un mécanisme
d'imposition qui n'est pas voté. Et Dieu
sait si le Gouvernement use et abuse de cette
facilité ! Pourquoi ? Pour deux raisons
sans doute : pour tester l'opinion, et pour l'apaiser
par effet d'annonce.
La
technique est désormais employée
presque systématiquement : elle l'a été
pour le choc de simplification appliqué
à l'urbanisme - au point qu'il était
difficile au Gouvernement de ne pas légiférer
par ordonnance, pour éviter d'inacceptables
délais après les annonces -, elle
l'a été pour la réforme de
la taxation des plus-values de cession, tant pour
le mécanisme lui-même que pour les
abattements exceptionnels dévoilés
par le Président de la République
soi-même, elle l'a encore été
pour le projet de loi ALUR. Chacun voit par exemple
que la fameuse GUL (garantie universelle des loyers)
n'a pas été préméditée
avec assez de sérieux et que les parlementaires
de la majorité eux-mêmes ne s'y trompent
pas : des objectifs flous, un financement hasardeux,
une hésitation entre un partenariat public-privé
et le tout Etat. Il en de même concernant
le loyer médian dans les zones tendues.
D'une intention louable et nécessaire pour
lutter contre les niveaux de loyers abusifs des
petites surfaces à Paris, cette disposition,
en ne faisant pas de différence entre les
logements anciens énergivores et les logements
neufs les plus économes en énergie,
est en train de bloquer les investissements dans
l'immobilier neuf. La loi ALUR risque ainsi de
tuer le dispositif Duflot.
D'ailleurs,
ce mode de communication emporte une seconde conséquence
qui accentue la première : les lobbies
ne peuvent pas ne pas réagir, prendre l'opinion
à témoin, et en définitive
aggraver la situation en l'inquiétant prématurément.
Il serait pourtant essentiel que le paysage juridique
de l'immobilier soit clair et stable, alors que
les gouvernants en font un lieu d'agitation permanente,
entraînant même les voix professionnelles
dans cette agitation. Sans parler des ménages,
qui tendent à ne plus distinguer entre
les projets ou les propositions de loi et les
intentions et les actes. On observera ainsi qu'on
ne parle plus que de "loi ALUR", alors
que le texte n'aura achevé son parcours
législatif qu'en mars ou avril 2014, et
que nombre de dispositions n'entreront pas en
vigueur avant 2015, en particulier parce qu'elles
appellent des décrets d'application.
Le
Gouvernement doit reconquérir la confiance
des Français. 74 % de nos concitoyens ne
lui font pas confiance en matière d'immobilier*.
Cela
n'est pas étonnant, car il est temps que
les discours gagnent en finesse et en justesse,
plutôt que d'adopter le flou comme définition
permanente. Le ciseau fin de l'ébéniste
plutôt que l'emporte-pièce en quelque
sorte. Les ménages et les professionnels
attendent cela pour troquer l'inquiétude
contre la confiance.
*
selon le cinquième baromètre Explorimmo/Ifop
paru à la fin septembre 2013
Par
Marc Gedoux, Président de Pierre
Etoile
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