Une rénovation énergétique
est une véritable opération immobilière
Les
premières opérations pilotes ont
montré que le processus était spécifique
et compliqué: il a fallu intégrer
les particularités juridiques de la copropriété,
la diversité des cas, le facteur humain.
Il a fallu ensuite admettre que les enjeux de
l'énergie ne peuvent être le seul
déclencheur: une rénovation énergétique
est avant tout un projet de rénovation
d'un patrimoine existant, en milieu occupé
par les clients eux-mêmes ou leurs locataires.
La
rénovation d'une copropriété
nécessite de conjoindre au minimum les
aspects financiers, juridiques et techniques.
Comme
toute opération immobilière, le
point de départ est le programme des travaux
et son financement. Le processus se développe
progressivement, et par étapes:
-
les études de faisabilité,
- un avant-projet qui aboutit à un programme
définitif et un budget prévisionnel
définitif,
- un projet qui est la base de marchés
de travaux,
- la mise en place de la phase de réalisation
- la réalisation des travaux et leur réception.
Les
acteurs sont:
-
le maître d'ouvrage, pour le compte duquel
l'opération est réalisée
et qui décide du programme et du budget,
- la maîtrise d'oeuvre dont le rôle
est de concevoir le projet et d'en contrôler
l'exécution,
- les entreprises, qui sont chargées de
la réalisation des travaux.
Toutes
choses que les professionnels de l'immobilier
connaissent bien.
Mais
les copropriétés sont loin d'imaginer
qu'une rénovation énergétique
relève d'un véritable opération
immobilière. Le plus souvent, le copropriétaire
pense avoir acquis un bien qui durera fort longtemps
("la pierre c'est fait pour durer"),
qui doit rapporter (pour les propriétaires
bailleurs), et coûter le moins possible
(pour les propriétaires occupants). C'est
la feuille de route de tous les syndics et de
leurs prestataires de service; on est bien loin
de la notion d'opération immobilière,
c'est ce qui éloigne les copropriétés
des professionnels de l'immobilier.
De
leur côté, les professionnels de
l'immobilier s'intéressent peu aux copropriétés:
hormis les architectes de copropriété,
dont le rôle était historiquement
d'assister les syndics dans des travaux d'entretien,
on trouve des thermiciens (les sachants en matière
d'économies d'énergie), et des architectes
éclairés ayant compris que leur
approche était incontournable pour mettre
en forme un projet; ceux-ci doivent former, ensemble,
des équipes de maîtrise d'oeuvre.
Mais
qu'en est-il de la maîtrise d'ouvrage?
La maîtrise d'ouvrage en copropriété,
le maillon faible
Le
syndicat des copropriétaires est le maître
d'ouvrage de la rénovation énergétique;
en général, elle initiée
par les conseillers syndicaux.
Les
pouvoirs publics et les milieux associatifs ont
longtemps pensé qu'il suffisait d'informer
les conseillers syndicaux pour les transformer
en sachants de la rénovation énergétique.
Les sites proposant plaquettes, manuels, glossaires,
didacticiels, et autres outils ne manquent pas,
ils sont parfois très bien faits. Mais
l'offre est pléthorique, touffue, parfois
contradictoire et surtout impossible à
digérer par le néophyte; c'est ce
qui effraie le copropriétaire.
On
réalise maintenant qu'un conseiller syndical,
aussi bien informé et impliqué soit-il,
ne peut maîtriser la technique du bâtiment,
la thermique, la réglementation et les
autres compétences requises pour conduire
un projet particulièrement complexe.
Le
représentant légal du syndicat est
le syndic: un gestionnaire maîtrisant la
comptabilité et les aspects juridiques
de la copropriété, qui peut avoir
des connaissances techniques permettant de conduire
des travaux d'entretien courant, mais le plus
souvent, il n'a ni les compétences ni les
moyens de conduire une opération immobilière.
La
maîtrise d'ouvrage ainsi constituée
(syndicat et syndic) ne peut être considérée
comme sachante, et elle ne dispose pas des moyens
nécessaires à la finalisation d'un
programme et du budget d'une opération
immobilière.
En
aucun cas une maîtrise d'oeuvre (même
pluridisciplinaire) aussi compétente soit-elle,
et encore moins une entreprise, ne peut pallier
à l'absence de maîtrise d'ouvrage
sachante. Le mélange des genres donne de
très mauvais résultats, et c'est
le client qui finalement en pâtit; à
chacun son métier.
Est-ce
une situation propre aux copropriétés?
Bien sûr que non, c'est même souvent
le cas dans les opérations immobilières.
Les solutions existent
Lorsqu'une
petite commune décide de se lancer dans
l'extension de son école maternelle, ses
moyens ne lui permettent pas d'effectuer seule
les choix qui lui incombent; la loi sur la maîtrise
d'ouvrage publique (1) a explicitement prévu
ce cas, mettant en place des professionnels dont
la mission est d'assister cette commune, sous
la forme d'un mandat ou d'une mission de "conducteur
d'opération". Sont ainsi apparus des
professionnels de l'immobilier, les Assistants
Maître d'Ouvrage (AMO), qui depuis près
de 30 ans côtoient le monde de la maîtrise
d'ouvrage publique française.
Un
autre cas est celui du client qui veut faire construire
un immeuble pour son propre compte; il aura alors
recours au promoteur-mandataire, sous la forme
d'un contrat de promotion immobilière,
encadré depuis 1954 par le Code Civil,
et pouvant comporter une part de risque plus ou
moins importante (2).
Dans
un cas comme dans l'autre, ces professionnels
sont à même d'assister le maître
d'ouvrage dans les études de faisabilité,
la finalisation du programme et du budget, la
conduite des phases d'études et de réalisation.
Ils le font en toute indépendance, et dans
l'intérêt du maître d'ouvrage,
qui conserve son libre arbitre, puisque les limites
du mandat sont adaptables à chaque cas.
Jusqu'à
présent, ces acteurs sont absents dans
les copropriétés. Pourtant leur
activité a subi ces dernières années
les effets de la réduction de la commande
publique pour les premiers, et ceux de la crise
immobilière pour les seconds. Ils devraient
être nombreux à chercher des occasions
de valoriser leur savoir-faire.
Ceux
qui proviennent de la maîtrise d'ouvrage
publique devront appréhender les particularités
du secteur marchand, ceux qui proviennent de la
promotion immobilière devront intégrer
les notions d'intérêt général.
Et surtout, il leur faudra s'adapter au contexte
particulier des copropriétés: les
sociologues et professionnels de la communication
ont montré que la concertation avec les
copropriétaires était indispensable,
et que le processus de conception du projet devait
être participatif (3)
De
nombreuses bases de contrat d'AMO existent (4),
il suffit de les adapter au contexte, et leur
rémunération, dans le budget final,
est marginale, alors que les compétences
apportées sont incontournables dans les
domaines financier, juridique et technique, et
dans la gestion de la temporalité de l'opération.
Parmi
les projets de rénovation énergétique
nous étudions, certains ont un fort potentiel
de valorisation, bien au delà de la valeur
verte. Des copropriétés possèdent
des surfaces de plancher peu valorisées,
des terrains constructibles, des immeubles pouvant
supporter des surélévations. Sans
compter les immeubles pour lesquels cette rénovation
sera une occasion unique d'améliorer leur
qualité architecturale.
Or
les évolutions récentes de la loi
de 65 ouvrent le champ des possibles (5), des
réglementations d'urbanisme favorisent
la densification (bonus de COS). Des projets ambitieux
de rénovation énergétique
en copropriété deviendront partie
prenante dans les projets urbains de certaines
communes. Toutes ces valeurs cachées permettent
de contribuer, parfois dans des proportions importantes,
à la rénovation énergétique.
Dans
ces projets d'un genre nouveau, le recours aux
AMO et promoteurs sera incontournable. En cette
période plutôt morose, ne s'agit-il
pas de marchés d'avenir?
(1) loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative
à la maîtrise d'ouvrage publique
et à ses rapports avec la maîtrise
d'oeuvre privée
(2) articles 3 et 6 de la loi du 12 juillet 1985
(3) Gaëtan Brisepierre " Comment se
décide une rénovation thermique
en copropriété ? Un nouveau mode
d'organisation de l'habitat comme condition de
l'innovation énergétique ",
Revue FLUX, (publication prévue en 2014)
(4) modèles de contrat d'AMO émanant
des services de l'État pour les monuments
historiques, du syndicat national des programmistes,
du Syntec, de la Mission Interministérielle
pour la Qualité des constructions publiques,
etc...
(5) La loi ALUR remplace le veto des copropriétaires
du dernier étage par un droit de préemption
Par
Philippe Alluin, Ingénieur Architecte,
gérant de ReezOME,
Réseau d'ingénieries pour l'architecture
et le développement durable, Co-dirigeant
du Groupe
A&M, Architectes, Enseignant à
l'école d'architecture de Paris-La-Villette
et Architecte consultant à la Mission Interministérielle
pour la Qualité des Constructions Publiques
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